Mes ancêtres faisaient des caravanes, ils allaient et venaient dans le désert, le nomadisme est ancré chez moi. C'est peut-être pour ça que j'arrive pas à rester en place ? Physiquement je ressemble pas trop à un Djiboutien, un Éthiopien ou un Somalien du Nord. J'ai cherché sur internet mais j'ai pas identifié précisément… Je suis arrivé à Brest à 4 mois en 1995. Mon premier souvenir de la ville, c'était en voiture, tout petit dans mon siège auto, j'étais effaré devant les grues qui me paraissaient énormes quand on passait les trois ponts et qu'on longeait le port… Peut-être qu'on allait accompagner mon père à l'embarquement ? Il était marin à l'époque, mais ma mère et lui commençaient déjà à vivre séparément. J'aime vraiment cette ville, j'ai choisi d'y vivre aujourd'hui, car tu peux toujours prendre un bateau qui part, tu te sens pas enfermé, t'as juste un océan à traverser et t'as New York City juste en face… Puis on a déménagé à Lannion avec ma mère et mon beau-père, et j'ai eu deux petits frères.
Ma famille était très bretonnante, mes premiers souvenirs d'alcool c'est chez ma grand-mère quand on buvait une bolée de cidre traditionnel avec les crêpes. J'avais dix ans, c'était une grande fête de famille, je me revois en train de finir les verres, et puis un oncle m'a fait boire de l'absinthe, pour rigoler. Et après je jouais au foot et je roulais partout, plus que le ballon, tout le monde riait, j'étais dans un état qui m'a plu et ça amusait tout le monde, alors…
Jusqu'en quatrième, j'étais bon à l'école, presque toujours des 18, un élève modèle, j'étais super bon en athlétisme, à la course surtout… Un entraîneur de l'Insep m'a repéré. J'avais cette rage en moi quand je courais, quand je prenais un départ sur piste. J'avais 15 ans, j'allais intégrer l'Insep, mais je commençais à traîner avec des potes sur le quai à Lannion, j'ai bu trois canettes et j'ai emprunté son scoot' à un collègue, j'ai mal apprécié la vitesse et je me suis crashé. Mon genou a explosé. Fini la compet', fini l'Insep. Puis j'ai été négligent, j'ai pas été chez le kiné comme j'aurais dû, rien à foutre… J'avais la rage. En fait, c'est à cette période que j'ai vraiment commencé à picoler.
J'ai commencé à laisser tomber l'école, je voulais plus de ça. L'école c'est le début de Babylone et le début de la fin. J'avais un prof de techno qui m'aimait bien et qui m'a passé sa guitare, mais à une condition, que j'arrête de lui fracasser les oreilles et que j'apprenne à jouer un minimum, et c'est comme ça que j'ai commencé à apprendre, c'est venu comme une évidence, je me suis mis à composer. C'était en 2009. Le jour de mes 15 ans, je suis parti en fugue, j'ai fait Paris, Bordeaux, Amsterdam en stop. Mais les flics là-bas ont pas compris comment un gamin pouvait voyager seul. Mon père est venu me chercher. Après, j'ai pas trop eu le choix, soit j'allais en foyer, soit j'allais dans ce qu'ils appelaient un séjour de rupture, c'est-à-dire qu'ils m'éloignaient et que j'allais voir d'autres paysages. Ils m'ont envoyé marcher un mois en Pologne. J'ai traversé des villages où ils n'avaient jamais vu un nègre, les mômes bouseux faisaient des cris de singe, j'ai compris le message… Mais après, on est restés deux mois en Espagne, et c'est là que j'ai vraiment travaillé mes premières compos.
J'adore le reggae, je joue et je compose du rap, du ragga… ce sont des musiques sociales, des musiques pour être ensemble, des musiques de la protestation, de la rébellion, de la politique… Mais le blues c'est autre chose, c'est intime, c'est ce qui vient de moi, la musique du cœur, c'est avec ça que tu peux raconter ton histoire… Et puis il faut se rappeler que la musique elle est née dans la rue, qu'elle appartient à la rue, qu'elle résonne dans la rue, gratuitement. Qui peut prétendre jouer du blues, être un bluesman, s’il est pas capable de le faire sur un bout de trottoir ? Attention, si j'avais de la thune, je roulerais en Bentley, mais ça m'empêcherait pas de taper la bise à un clochard, parce que la vie, c'est la relation humaine, c'est pas basé sur l'argent, et la musique de rue, elle revendique ça.
La dernière fois, à Orvault (j’avoue que j'étais presque content d'aller en prison parce que j'étais pas parti sur une super bonne lancée et ça m'a donné le temps de réfléchir…), j'ai lu Le Maître et Marguerite de Boulgakov, qui est devenu mon livre préféré. La prison ça te confronte à toi même, et aux autres, ça te montre la misère sociale et ce que t'as pas envie d'être. Parce que la misère elle est pas que financière, quand elle est culturelle c'est bien pire… Sur les quatre fois où j'ai été en prison, ç'a été la plus utile. Quand je suis sorti, une semaine avant mes 18 ans, interdit à Lannion, je suis revenu à Brest, ma ville d'adoption. Je me suis retrouvé seul, libre, mais qu'est-ce que c'est inquiétant quand même la liberté… Faut assurer.
Pour mes projets musicaux, je suis bien entouré, j'ai un groupe de base et en même temps je joue avec plein de gens de passage, je participe à des soirées, je vois bien que mon flow et mon style font plaisir aux gens. C'est trop bon comme sensation quand tu montes sur scène et que la magie de la musique t'entraîne avec le public. Et puis, ce que j'attends, c'est aussi d'avoir la chance d'enregistrer.
Il y a deux ans de ça, j'ai trouvé sur internet l'orphelinat de Djibouti, j'ai appelé mais la personne ne comprenait pas le français, j'ai laissé tomber, mais c'est jamais sorti de ma tête, c'est là plus que jamais. Je sens que j'ai besoin de raccorder mes morceaux séparés, d’aller là-bas, à Djibouti. Parce qu’il y a forcément des registres avec des indices sur ma famille, et je voudrais rencontrer ma mère biologique, voir qui elle est, lui montrer ce que je suis devenu… Je sais pas si ce sera possible, peut-être que je la retrouverai jamais, mais au moins je veux essayer, voir le pays et connaître la culture des miens. C'est ça mon vrai projet de vie.
Tom Simon s'est éteint en octobre 2022, à 27 ans.
La vie de Tom est à retrouver dans Tom d'ici et d'ailleurs de Philippe Lubliner. Il est aussi visible dans le documentaire Jeudi soir Dimanche matin.