Aber

Aber - Fleuves - algues - banner hd

L’aber est une vallée dans laquelle la marée s’est engouffrée, créant un bras de mer. Aber est estuaire, embouchure, zone de rencontre entre terre et mer, eaux douces et salées, marée montante et courant fluvial, opposé. Frictions et entremêlements… Aber est la nouvelle pièce musicale du groupe Fleuves.

Sur Aber, Quentin Bernard réalise un clip libéré des astreintes de représentation du groupe. Il saisit et juxtapose des portraits de femmes et d’hommes qui nous fixent avec insistance, des gens d’ici, emmitouflés dans leurs pensées. De belles personnes dirait-on, que le réalisateur a serti de phototypes qui disent la terre chaleureuse et festive, végétale et minérale, sauvage et endiguée… une vision cosmique de la Bretagne, une sensible et délicate représentation d’un peuple, en harmonie avec l’univers musical de Fleuves.
Une belle réussite !

CLIP

ABER

un clip réalisé par Quentin Bernard (2025 - 4’)

Des portraits d'anonymes se succèdent. Leurs yeux dirigés vers la caméra provoquent la rencontre avec eux.
Derrière leurs visages se dessine un temps de rupture nette avec le quotidien. D’autres images surgissent alors, comme des flashs au-delà de leurs regards : un autre portrait, composé d'éléments qui bougent, s'agitent, coulent, remuent.

>>> un clip produit par Fred Premel, Tita B Productions, et Julien Princiaux, Airfono, avec le soutien de KuB

CRITIQUE

SUBLIMER LA FORCE DES DANSES COLLECTIVES

par Jeanne Lacaille

Avec #3, dernier volet d’un triptyque axé sur la musique à danse, Fleuves renouvelle son contact, soucieux du commun, à la confluence des musiques contemporaines et des traditions bretonnes. Chacun des dix titres se danse : Pil pour un pilé menu, Oust pour le rond de Saint-Vincent-sur-Oust, Stang qui emprunte à Magma son guitariste Rudy Blas le temps d’un cercle circassien, Baleu et Loudia pour le fameux rond de Loudéac, une danse athlétique à laquelle Fleuves insuffle une énergie rock à casser le plancher (c’est déjà arrivé). En autant de pas que de géographies rythmiques, le répertoire de Fleuves se fait l’écho d’un lien organique à un territoire pluriel, rouille, bleu, métal, lichen, façonné par des éléments puissants et un spleen intégré à l’histoire de ces paysages poétiques.

Ainsi #3 s’ouvre-t-il sur une marche typique des processions ou des cérémonies de pardon, Aber, dont la texture spectrale évoque l’atmosphère de ces vallées envahies par la mer. Joyau de drames et de résilience, la complainte bretonne est mise à l’honneur avec Gwerz, qui s’inspire d’une composition à la gloire du printemps de la chanteuse et poétesse costarmoricaine Filomena Cadoret. Si l’on peut ajouter la célèbre Madame Bertrand - guérisseuse et chanteuse à la réputation de sorcière - au rang de ses références, Fleuves convie sur Galv Ar Sorserez une consœur contemporaine, la Brestoise Sarah Floch, qui lançait de sa voix de sirène du bout du monde cet appel des sorcières contre le patriarcat sur l’EP Odyssea, sorti avec le trio en 2021. Récemment, le groupe a pris position en faveur d’une meilleure représentation des femmes sur la scène bretonne, s’engageant à se produire uniquement sur des plateaux paritaires.

Conçu comme la synthèse des deux premiers albums, #3 s’achève sur une gavotte de poche, Atav, portée par le bourdon électrisant qui touche au minimalisme à marée basse, accents noise à marée haute. À gué entre les mondes, centré sur l’essentiel, Fleuves pousse avec #3 le curseur vers la transe pour sublimer la force des danses collectives comme creuset d’innovations créatives et sociales. Entrez dans la ronde !

INTENTION

UNE HYBRIDATION VIRTUOSE

par Quentin Bernard

Une première rencontre

En 2021, j'ai réalisé le clip du spectacle Una Bestia de Romain Dubois (co-compositeur et pianiste de Fleuves). J'avais auparavant signé plusieurs clips musicaux à petits budgets, mais surtout des captations, essentiellement pour le théâtre. La puissance et la radicalité des compositions de Romain m’avaient marqué, ainsi que la vision précise de ce qui l’intéresse à l’image. J'ai aimé l'écoute réciproque que l'on a su installer et l'exigence qui était de mise pour répondre à un travail créatif ambitieux. J'espérais qu'un jour nous serions amenés à retravailler ensemble.

Duo du bas - Regard caméra - HD - carré
Elles te regardent - Duo du Bas - Quentin Bernard
Duo du bas - Poupées - HD - carré
Elles te regardent - Duo du Bas - Quentin Bernard

Cette première collaboration avec Romain m'a permis de faire de nouvelles rencontres. En particulier avec La Criée (diffuseur actuel de Fleuves) pour qui j’ai réalisé une vidéomusique imaginée comme une performance documentaire, sur le morceau Elles te regardent de Duo du Bas. Les trois piliers de Fleuves, Romain Dubois, Samson Dayou et Émilien Robic ont vu et aimé ce clip, notamment pour son ancrage documentaire. Romain m'a alors contacté pour me proposer d’écrire et de réaliser une vidéo pour Aber, qui ouvre le troisième album d'un triptyque démarré en 2016. L’idée première du trio était de filmer des portraits, un exercice que j’affectionne et que j’ai beaucoup pratiqué. J'ai écouté le morceau en m’emparant de cette idée et j'ai été immédiatement saisi par la proposition.

Une expérience de spectateur.rice

Aber est une composition dans le style d'une marche, constituée de deux motifs mélodiques qui se répètent et s'enrichissent peu à peu, déformés par de la saturation et de la programmation électronique. Au cœur du morceau arrivent des roulements de caisses claires typiques de la marche, soutenues par des basses profondes. L'arrangement de Aber emprunte et détourne les codes musicaux traditionnels bretons. C'est ce que fait habituellement Fleuves, à la différence qu'ici le thème de la marche installe une dimension solennelle marquée.

Romain m'a fait part de sa surprise agréable lorsque Aber avait été joué en live pour la première fois. L'émotion était palpable, plus que d'ordinaire, et le morceau avait provoqué un raz-de-marée d’applaudissements. J'ai réécouté Aber avec cette discussion en tête, en essayant de me fondre à cette foule de spectateur.rices enthousiastes. Je me suis amusé à imaginer celles et ceux qui la composent. Des aficionados de la musique bretonne ? Des amoureux.euse.s de jazz, de rock, de musique à danser ? Des amateur.ice.s de musique électronique ou des passionné.e.s de musique dite « classique » ? Des gens âgés, des jeunes, des enfants ? Sans doute tout cela à la fois. Je me plais à penser que n'importe qui prend part à cette foule. Que l’identité des spectateur.rice.s n’est pas ce qui les guide.

Une expérience du regard

J’ai souhaité filmer des anonymes, rencontrés au hasard dans des villes bretonnes, sur un banc, dans un parc, dans la rue ou sur une terrasse de café. À Brest, Plouguerneau, Lannilis et Rostrenen, j’ai voulu laisser une place de choix à ces parfait.e.s inconnu.e.s. Leur proposer de s'arrêter un instant, comme ce que font les spectateur.rice.s d’un concert. Les filmer face caméra dans ce moment de pause. Installer une expérience autour du regard, dans laquelle notre vision se confond en miroir avec la leur. À travers ces portraits hétéroclites, je souhaite parler de cette ouverture sur l’autre, au-delà de la notion d’identité. De cette mécanique des fluides qui nous constitue. De notre part d'instinct et de sauvage qu'on met (un peu trop) souvent de côté.

Pour les regards caméra ou la posture de face, je me suis inspiré des Cinématons de Gérard Courant, et de portraits peints au 19e et au 20e siècle. Pour les couleurs, les textures et le grain, je me suis appuyé sur des autochromes du début du 20e siècle qui sont les premières expérimentations d’images en couleurs. J’ai souhaité utilisé au tournage une caméra de cinéma relativement ancienne (la Sony PMW-F3), que je considère comme l’une des rares à disposer d’un capteur capable de produire une texture organique et des couleurs semblables aux caméras argentiques 35 mm. J’ai choisi de travailler avec la directrice de la photographie Pearl Hort dont j’apprécie particulièrement le travail photographique autour de l’eau, des plantes et des rochers. Filmer au format 4:3, que je trouve idéal pour le style du portrait et la direction du regard, faisait partie de nos décisions communes évidentes.

Un répertoire d’images

Au tournage, j’ai mis en place un échange préalable avec les personnages rencontrés au hasard. Qu'est-ce qui les inspire ? Qu'est-ce qu'ils apprécient ? Qu’est-ce qu’ils détestent ? En m’appuyant sur leurs réponses, nous sommes allé.e.s filmer un répertoire d’images composites pour représenter les regards que ces anonymes portent, et autant de récits possibles.

D'abord, des éléments inertes, fabriqués, parfois oppressants, qui renvoient notamment au quotidien que ces personnages quittent. Flèches peintes sur le goudron, antennes, enseignes et décorations lumineuses, feux d’artifices, éoliennes, véhicules, platine vinyle, caisse claire... Ensuite, à la mer et à la campagne, des éléments vivants de la nature en perpétuel mouvement : des vagues, des plantes, des terriers, des nuages, la Lune, des pierres, des racines, un chemin creux...

Au montage, j’ai eu la chance de travailler avec Marie Bottois, dont le travail en pellicule 16 mm avait attiré mon attention. Avec environ 8 heures de rushes sur la table de montage, parvenir à enchâsser les fragments de ville, de campagne et de mer aux portraits nous a demandé une bonne dose d’instinct. En suivant incessamment le thème musical de la marche et les contrastes distillés dans Aber, j’ai tenu à ce que ce canevas d’images se transforme petit à petit, pour que les éléments vivants remplacent les objets sans vie. Une antenne de télévision pouvait alors devenir un lampadaire, puis un engin de chantier, puis un rocher, l'hélice d'une éolienne, un arbre… Les lumières de la ville pouvaient se transformer en feux d’artifices, puis en platine vinyle, puis en hortensias, ou prendre la forme de la Lune et d’une pierre sur un chemin.

À l’instar des personnages, j’ai voulu que la nature prenne progressivement corps. Associées par motifs, formes ou couleurs semblables, ces images extérieures ont vocation à connecter les visages entre eux. Le parti pris du montage va dans ce sens : donner un vrai rôle de composition aux éléments filmés à la ville, à la mer et à la campagne. J’ai souhaité articuler de cette façon l'analogie du morceau avec le désir de l’altérité et la question de notre rapport au monde. Oublier ce qui nous oppresse, les craintes, le mépris, et en sortir grandi.e, telle est l'invitation de Aber.

BIOGRAPHIE

QUENTIN BERNARD

Quentin Bernard portrait - HD - credits Loïc Gaillard-Damian
© Loïc Gaillard-Damian

Quentin Bernard naît et grandit en Alsace, puis entreprend des études de cinéma en région parisienne. Diplômé d'un master pro Réalisation et création à l'université Paris 8, il réalise en 2014 le documentaire Enquête familiale en pays limitrophe.

Installé en Centre Bretagne, Quentin Bernard travaille régulièrement avec Ty Films - pôle documentaire à Mellionnec.

Il enseigne la pratique du cinéma auprès d'étudiant.e.s en licence Arts.

En 2017, il réalise un Portrait de Mellionnec, Odette au printemps, tourné avec un dispositif technique qu’il a conçu pour un smartphone.

En 2022, il réalise Vendanger fatigue, mémoire d'une femme qui n'avait pas d'histoire.

Également vidéaste pour le spectacle vivant, il a réalisé une trentaine de captations, clips et teasers de théâtre, de musique et de danse depuis 2015. Il est notamment l'auteur du clip Elles te regardent (2023) réalisé pour Duo du Bas.

BIOGRAPHIE

FLEUVES

Fleuves portrait - HD - carré
© Eric Legret

Formé en 2013, le trio Fleuves réunit Romain Dubois (claviers, Fender Rhodes), Émilien Robic (clarinettes) et Samson Dayou (basse). En plus de dix années d’existence remarquée (sélection FIP, Radio Nova, France Culture, France Info, Grand Prix du Disque Le Télégramme...), Fleuves est devenu un des porte-étendard des nouvelles musiques bretonnes.

Avec trois albums à son actif, le trio a su intégrer la culture électronique ou les influences jazz-rock à la richesse culturelle bretonne pour créer une musique d’ancrage ouverte sur le monde, toujours liée à la danse. Le groupe parvient à imposer un nouveau regard sur cette culture de transe, une expérience/performance collective festive et solennelle assez inédite, où le public est un quatrième musicien, où le spectateur est convié à être acteur.

Derrière l’apparence d’une culture locale que certains appelleraient folklore breton, c’est un laboratoire de musique et de danse qui a su s’inventer en chemin, épargné des conformismes mais soucieux du commun.

Fleuves s’est produit sur les scènes des Trans Musicales de Rennes, de la Villa Medicis à Rome, du festival Jazz à Vienne, des Vieilles Charrues, du Festival du bout du monde, et à Glasgow, Ostrava, etc.

REVUE DU WEB

ENTREZ DANS LA RONDE !

FRANCE 3 🎬 (2024) >>> Pourquoi la musique bretonne est-elle toujours si vivante ? Pour les uns, c'est une occasion de s'amuser ou une histoire de famille, pour les autres, une harmonie spéciale ou une façon d'être ensemble. À chacun sa façon de vivre la musique bretonne, ce trésor culturel qui s'inspire de la tradition mais sait aussi trouver l'inspiration ailleurs.

FRANCE CULTURE 🎧 (2024) >>> La tradition orale bretonne, entre chants et transmission, à l'épreuve du temps. En 1980, Michel Tréguer invite les sœurs Goadec, Donatien Laurent et d'autres témoins d'une tradition millénaire à partager l’intimité de cette culture, liant les générations autour d'airs ancestraux.

RADIO NOVA 🎧 (2023) >>> En fest-noz, il n'y a qu'un pas entre la danse, la transe et la jouissance – Fleuves. Dans La Potion, Jeanne Lacaille explore les mondes invisibles de ses invité.e.s.

FAMDT PODCASTS 🎧 (2023) >>> Ébullitions, les musiques traditionnelles en mouvement. Une série de podcasts pour saisir les artistes des musiques traditionnelles au travail.

FRANCE CULTURE 🎧 (2019) >>> Musiques populaires, une épopée française. De la Bretagne à la Camargue, de l’Auvergne à la banlieue lyonnaise, voyage au cœur des musiques populaires de l'oralité française.

FRANCE CULTURE 🎧 (1996) >>> Cent ans de fest-noz en Bretagne. Le fest-noz, rassemblement festif avec des chants et des danses traditionnels de Bretagne, a été inscrit au patrimoine immatériel de l'Unesco en 2012. En 1996, cette pratique toujours vivace était le sujet d'un documentaire de l'émission Nocturne.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    avec la participation de Elena Le Guellec
    et les portraits de Susan, Thibault, Gwendoline, André, Mamadou, Yvain et Nine, Lucille, Adbelhalim et Brahim, Marie, Marc

    réalisation Quentin Bernard
    production Fred Premel (Tita B), Julien Princiaux (Airfono)
    image Pearl Hort, Quentin Bernard
    montage Marie Bottois
    étalonnage Youen Marivain
    assistante réalisatrice Morgane Lincy-Fercot
    assistant monteur Matthias Germain
    assistante de production Juliette Jacobs
    moyens techniques Rosmeur Lab, Studio 401, Transperfect, Ty Films
    avec le soutien du CNC et du CNM
    avec la participation de KuB et de Airfono Publishing

    Aber écrit et composé par Fleuves
    avec Émilien Robic (Clarinette), Romain Dubois (Fender rhodes et programmations), Samson Dayou (Basse), Antonin Volson (Batterier)
    mixage Joachim Olaya
    mastering Sébastien Lorho
    production Airfono

    Artistes cités sur cette page

    Quentin Bernard portrait - HD - credits Loïc Gaillard-Damian

    Quentin Bernard

    Groupe Fleuve ©Eric Legret

    Fleuves

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