Stigmates

La bobine 11004-banner.

Corps criblés d’éclats, chairs à vif et regards éteints, La Bobine 11004 expose à nos regards les stigmates laissés par la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki, les signes inscrits à la surface des choses et des corps par la violence du souffle et des radiations, une fois revenu le silence et évacuées les victimes.

Mirabelle Fréville sait que l’image cinématographique procède de l’irradiation d’une surface sensible - les plaques argentiques permettent de mesurer les radiations persistantes après l’explosion - les lambeaux de rushes dont est constitué son film sont une matière incandescente qui nous travaille au corps et à l’âme.

Mais la guerre moderne n’est pas seulement dévastation des vies et des biens, elle est aussi privation de la vérité. L’anéantissement de l’ennemi suppose aussi de réécrire son histoire. Imposer le silence aux survivants aura été le ferment de rancunes tenaces qui prépareront d’autres guerres.

À partir de 1945, l’enjeu pour les Américains n’était pas seulement de laver l’affront de Pearl Harbor mais d’asseoir leur hégémonie, d’ouvrir de nouveaux temps où l’homme démiurge sera capable de dompter le soleil, d’en faire une arme foudroyante et une source de bien-être infini.

Avec son classement en énergie verte par l’Union européenne, le nucléaire sort de son purgatoire post-Fukushima pour redevenir ce que la propagande américaine en disait en 1946 : un cadeau pour les générations futures…

FILM

LA BOBINE 11004

de Mirabelle Fréville (2020 - 19')

En 1946, huit mois après les bombardements atomiques, une équipe de cinéma de l’armée américaine réalise au Japon un long métrage documentaire. Plusieurs bobines sont tournées à Hiroshima et Nagasaki mais, à leur arrivée aux États-Unis, les images visionnées sont classées Secret défense. La Bobine 11004 explore les 19 minutes de ces rushes et révèle, image par image, la première censure de l’histoire du nucléaire.

Ce documentaire est présélectionné pour concourir aux César 2022 du Meilleur Film de court métrage documentaire.

Attention, ce film contient des images pouvant heurter la sensibilité du public.

>>> un film produit par Les 48° Rugissants et En roue libre

INTERVIEWS

La bobine, film d'archives

une coédition KuB et Films en Bretagne

Rencontres avec la réalisatrice Mirabelle Fréville et Adeline Le Dantec, productrices de La Bobine 11004

INTENTION

Dépoussiérer

par Mirabelle Fréville

enfant en train de se faire opérer - La bobine 11004

C’est en 1986, en lisant un texte d’Albert Camus, que j’ai compris la tragédie d’Hiroshima et de Nagasaki. Un journaliste avait écrit dans un quotidien que la catastrophe de Tchernobyl avait propagé dans l’atmosphère l’équivalent radioactif de 400 fois la bombe d’Hiroshima. Il avait joint à son article l’éditorial de Camus paru dans Combat le 8 août 1945 qui disait : La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. Tchernobyl et le désastre écologique et humain qui suivit m’ouvrirent les yeux sur les dangers du nucléaire militaire et civil. Je pris conscience, avec la fiction du nuage radioactif s’arrêtant aux frontières de la France et la difficulté de s’informer sur les réelles conséquences sanitaires de l’accident, du manque total de transparence des industries nucléaires et des gouvernements sur la question.


Avec La Bobine 11004, j’ai voulu faire resurgir l’histoire contenue dans ces images et dénoncer la censure. En 2018, dans un climat politique international tendu avec une augmentation des arsenaux et des centrales nucléaires dans le monde, j’aimerais suggérer au spectateur que si la bombe a eu des conséquences mortelles à moyen et long termes, la chape de plomb qui a été posée sur le nucléaire au lendemain d’Hiroshima et de Nagasaki a toujours des répercussions aujourd’hui.

Je tiens aussi à pointer l’importance de l’archive et la fonction d’entomologiste des opérateurs qui ont systématiquement filmé les traces de la bombe, mêmes les plus insignifiantes, des pièces à conviction qu’on a voulu faire disparaître.

J’entends révéler ce qui n’a pu être vu, rendre visibles les traces que les soignants pointent du doigt, les meurtrissures des corps des soignés, les séquelles d’irradiation, en faisant ressentir la présence de la radioactivité. Je veux montrer les images pour ce qu’elles sont. Dans certains documentaires sur Hiroshima et Nagasaki, on se sert des scènes de la bobine pour illustrer tous les sujets sur les victimes des bombardements atomiques. J’ai voulu donner à ces rushes la possibilité de devenir enfin un film, rendre publiques les images de la 11004 dans leur intégralité pour leur donner l’existence qu’elles n’ont pas eue. Refaire surgir ces images, c’est pour moi autant une question d’émotion cinématographique qu’un devoir de mémoire.

Enfin, j’ai voulu faire exister les victimes de la bombe, ces vivants d’alors qu’habituellement on ne voit pas, se faire croiser nos regards et leur donner, le temps de la projection, l’attention dont ils ont été privés.

CONTEXTE

L'histoire de la bobine

par Mirabelle Fréville

clapman hiroshima - La bobine 11004

Des images d’ombres sur les murs, des ruines de béton, des amas de cendres, de trams carbonisés, c’est ce que le monde entier a vu d’Hiroshima et de Nagasaki pendant des années. Comme si deux bombes avaient anéanti deux villes mais n’avaient laissé aucun cadavre, aucun blessé, aucune trace humaine ! En septembre 1945, les États-Unis occupent le Japon et censurent tous les documents faisant voir l’horreur des bombardements atomiques, réalisant leur gravité sans en connaître les effets à venir. Ils s’empressent de contrôler la communication. Ils minimisent le nombre de victimes, nient les conséquences médicales et instaurent un code de la presse. Ils emploient des centaines de civils pour examiner les journaux, les films, les documents scientifiques ou médicaux pour y faire disparaître les passages tendancieux. Ils occultent les informations sur les survivants irradiés et font même supprimer les caractères d’imprimerie bombardement atomique et radioactivité des journaux locaux.


À l’automne 1945, l’armée américaine décide de réaliser un long métrage documentaire en couleurs, Le Japon vaincu, à destination du grand public. Tourné dans 19 villes japonaises par quatre opérateurs (trois Américains et un Japonais) le film doit rendre compte de la vie quotidienne dans les villes non atomisées et des dégâts matériels à Hiroshima et Nagasaki. Le tournage est sous la responsabilité de Daniel Mc Govern, militaire de carrière, producteur et réalisateur qui a travaillé sur des films de propagande dont Memphis Belle.

Nous avons besoin de vous pour témoigner sur le Japon avant que l’herbe n’y reverdisse et que les Japonais rebâtissent les villes !, lui dit le général Anderson, commanditaire du film.

Aucune interview de Japonais ni de personnalités témoins de la catastrophe n’est souhaitée. Il n’y a pas de scénario mais quelques consignes : À Hiroshima et Nagasaki, constatez les effets de la bombe atomique sur la flore et les bâtiments, pas sur les hommes. Les opérateurs ne suivront pas la consigne. L’American Air Force signe un contrat avec Warner Bros et la sortie en salles est prévue fin 1947. Été 1946, la mission est terminée. Plus de 20 heures de rushes ont été tournées. Les 81 bobines sont envoyées aux États-Unis pour être développées. Les images de Nagasaki et Hiroshima, visionnées d’abord par l’armée américaine et des membres du Pentagone, sont immédiatement confisquées et classées Secret défense. Le contrat avec Warner est rompu et le projet de film Le Japon vaincu disparaît de l’actualité cinématographique. Ces pièces à conviction ont été délibérément censurées car elles étaient des preuves matérielles de l’horreur de la bombe.

Le même été, les États-Unis transfèrent le contrôle du nucléaire des militaires aux civils, menant à la création, en 1947, de la Commission de l’énergie atomique, qui succède au Projet Manhattan. Systématiquement, chaque nouvel essai est filmé et la commission communique très largement sur leur réussite, jamais sur le fort taux de radioactivité qu’il produit.

En 1948, alors que le film sur le Japon aurait dû sortir en salle, c’est un tout autre film d’actualité que les Américains découvrent au cinéma avant le long métrage : une compilation de magnifiques champignons atomiques promettant un avenir nucléaire radieux. Seuls manquent ceux d’Hiroshima et Nagasaki ! La bobine 11004 et les 80 autres seront rendues publiques en 1982, 35 ans plus tard. Aujourd’hui, elles sont disponibles aux Archives nationales de Washington. Mais leur histoire reste méconnue.

BIOGRAPHIE

Mirabelle Fréville

Mirabelle Fréville réalisatrice - La bobine 11004

Mirabelle Fréville est réalisatrice, programmatrice et documentariste. Après des études d’anthropologie politique et de cinéma, elle s’occupe des achats de courts et moyens métrages pour Arte. En 1995, elle part s’installer en Bretagne où elle devient documentaliste sur des films d’archives et programmatrice de festivals de films (Brest, Doc Ouest, Travelling). Elle réalise son premier film, La Source, en 2012, écrit L’Or rouge avec Philippe Baron en 2014 et réalise La Bobine 11004 en 2020.

REVUE DU WEB

Nucléaire : entre censure et fiction

LE MONDE >>> La censure américaine a caché les images de victimes. Avec leurs enchevêtrements de centaines de corps qui évoquent les camps de la mort, ces nouvelles images d'Hiroshima sont sans précédent.

OUEST-FRANCE >>> Le 9 août 1945, l’armée américaine utilise sa deuxième bombe atomique et bombarde la ville de Nagasaki, trois jours après celle d’Hiroshima. Détachée, semblant irréelle à travers le regard contemporain, la couverture médiatique a été le résultat de la fermeture des zones bombardées, du contrôle des informations et de la censure. Plongée dans les archives d’Ouest-France et dans le traitement médiatique opéré par la presse française.

L’EXPRESS >>> Franceinfo révèle qu'un film sur la catastrophe nucléaire de Fukushima, Fukushima le couvercle du soleil, a été censuré à Cosne-sur-Loire, dans la Nièvre. La raison ? La diffusion programmée dans le cinéma de la ville du film qui revient sur la catastrophe nucléaire survenue au Japon en 2011, consécutive à un tsunami qui a fait 18 000 morts.

GLÉNAT >>> Le 6 août 1945, une bombe atomique ravage Hiroshima. Des dizaines de milliers de personnes sont instantanément pulvérisées. Et le monde entier découvre, horrifié, l’existence de la bombe atomique, première arme de destruction massive. Mais dans quel contexte, comment et par qui cet instrument de mort a-t-il pu être développé ?

COMMENTAIRES

  • 30 janvier 2022 08:38 - CHOTTARD Paskal

    Même si les images sont parfois difficiles à soutenir, il est bon de les montrer et surtout de révéler au yeux de tous les horreurs de notre "humanité"...

  • 28 janvier 2022 22:07 - VINCENT DEVOS

    L'irresponsabilité semble traverser les âges .... l'Hypocrisie en est sont "matelas" !

  • 27 janvier 2022 11:24 - Xavier Liébard

    J’ai vu la bobine 11004. Bravo à Mirabelle Freville et Adeline Ledantec et merci ! C’est un film indispensable qui mérite d’être montré dans les écoles de cinéma et ailleurs. De rejoindre la terrible liste de grands documentaires qui marquent l’histoire du monde.
    Tout y est au cordeau dans une mise en scène froide et implacable qui dit que rien ne sera effacé dans la mémoire de ceux qui souffrent.
    Regardez leurs visages glacés, ils n’oublieront rien.
    La bombe est en eux. Irresponsabilités des puissants.
    Folie de ceux qui croient effacer les traces des mémoires. Je repense à cette séquence de Chris Marker
    tirée de son documentaire "le fonds de l’air était rouge"
    lorsqu'un un pilote américain au commande de son avion se réjouit de balancer du napalm sur les vietnamiens comme s’ils étaient de simples insectes. Même aveuglément dominateur. Même mécanique de mort.
    Même folie de la guerre.
    Jusqu’où ira la peur de l’autre ?
    Longue vie à cette bobine 11004 surgit du fond de l’oubli.

CRÉDITS

réalisation Mirabelle Fréville
image Harry Mimura, Sergent O.A. Bohm, Sergent R.V. Wizbowski, Colonel W. Hoover
montage Denis Le Paven

mixage Vincent Pessogneaux, Nomades Productions
son Margarida Guia
une coproduction Les 48° Rugissants et En roue libre
avec la participation de la Région Bretagne, Rennes Métropole, CNC, ProArti, Scam - Brouillon d'un rêve

Interviews Alan Scaviner pour Films en Bretagne et KuB

Artistes cités sur cette page

Mirabelle Fréville réalisatrice - La bobine 11004

Mirabelle Fréville

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