Refuelled
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La mémoire ne filme pas, la mémoire photographie. Milan Kundera, L'immortalité
Les clips abordant de manière frontale le thème de la photographie sont nombreux. Ils s’attachent tous à souligner le caractère bref, éphémère, unique d'instants anodins ou extraordinaires. Saisis par une chambre noire (ou un capteur électronique), ils peuvent être fixés ou détruits. Dans tous les cas la photographie est plus qu'une épreuve, c'est une preuve, Picts or it didn't happen !
Avec Refuelled, le réalisateur rennais Joe Pinto Maïa crée une image instantanée de Denner, intégrant leurs expériences antérieures.
REFUELLED de Denner
REFUELLED de Denner
un clip réalisé par Jo Pinto Maïa (2017- 4'03)
Photos souvenirs
Photos souvenirs
par Johann Feillais
1- Desseins animés
Les photographes et photos visibles dans des clips sont presque aussi fréquents que leur représentation au cinéma. Plutôt que de lister une ribambelle d'exemples, autant n'en citer qu'un seul : Washed Away des Juvéniles (2013, Rodrigue Huart), aussi simple que représentatif de toute une symbolique de la photo présentée dans une séquence animée. Ici comme ailleurs les souvenirs peuvent se délaver, disparaître avec le temps comme le sable glisse avec la marée ; les photos évoluent d'elles-mêmes progressivement, comme un souvenir.
Les photos peuvent aussi inspirer, être à l'origine de clips. Ainsi, pour réaliser la vidéo de Sirtaki sur la bande d’arrêt d’urgence pour Frank Shinobi (2014), Simon Medard redessinne et anime des photos préexistantes du photographe américain John Garner. En 2009, Keith Schofield s'inspire de photographies pour réaliser Heaven Can Wait pour Charlotte Gainsbourg et Beck, avec une petite nuance : il reconstitue en mouvement des images incongrues collectées au fil du web.
2- Cadres mouvants
Les photos de Refuelled sont non seulement en mouvement mais intégrées dans un cadre-photo. Cela a pu se voir dans Memory des Zoot Woman (2009, Krebak) concernant des images récentes mais déjà nostalgiques, à travers desquelles un homme fraîchement célibataire voit ses souvenirs photographiques (re)prendre vie de manière brève au bout de ses doigts et au fil des déambulations. Idem pour Michel Gondry en réalisant Hou ! Mama mia pour les Négresses Vertes (1992), dans une vidéo où les membres d'une large fratrie sortent des cadres pré-établis afin de prendre libre-cours à la vie.
Les portraits des membres de Denner s'animent dès l'ouverture de Refuelled. Présentant des visages austères où aurait pu être ajoutée la mention wanted ; les paroles nous prouvent a contrario le désir de vie dès la première strophe : Je me dépouille d'une vieille peau, Ôtant de vieilles habitudes, Enfilant une nouvelle peau, Récupérant mon passé.
À ces effigies actuelles s'ajoutent en surimpression des éléments renvoyant au passé : effets de pellicule se désagrégeant, ajout de lieux et de dates. Lorsque s'affichent par exemple à plusieurs reprises les mentions Promajna 1978 ou Kotor 1974, nous ne pouvons pas savoir qu’il s’agit de deux cités côtières de l'ex-Yougoslavie où des événements fondateurs se sont peut-être déroulés pour le leader du groupe. Marques du passé plutôt que temps écoulé : la dynamique et la jeunesse d'esprit sont toujours là.
Les bustes tournent, défilent à l'intérieur des délimitations de ce cadre subdivisé (split-screen). Parce que le mouvement est signe de vie et parce que la photographie c'est la vérité. Les protagonistes peuvent donner l'illusion de passer de cadre en cadre, tout comme le réalisateur est passé de l'analogique au numérique en produisant cette vidéo (voir la note de réalisation). La musique de Denner, bien qu'actuelle puise ses sources au début des années 1980, dans la cold wave ; on pourrait y voir le témoignage de cette souplesse réaffirmée une nouvelle fois par les paroles : Libre du passé. Les vieilles figures. Libéré de l'obscurité. Des impasses.
De ce cadre de la photo individuelle s'échappe aussi une autre référence appartenant à la première moitié des années 1980 : le Tombé pour la France d’Étienne Daho (1985, Jean-Pierre Jeunet). La connexion entre ce clip et celui de Refuelled est peut-être le fruit d'une mémoire inconsciente, elle est néanmoins aussi frappante que gracieuse et peut être interprétée comme un peu plus qu'un simple hasard.
Refuelled se termine sur la plage. Une forme d'harmonie se dégage alors entre le lieu présenté et celui évoqué par le chanteur : Ravitaillé par la mer, Ravitaillé par le soleil, Ravitaillé avec la vie, L'épuisement qui vous rend plus fort. Cette symbiose semble s’inscrire sur les visages des membres du groupe, comme libérés des tensions. Ici les souvenirs et expériences passées ne sont pas enfouies sous le sable, mais assumées.
Instantannés
Instantannés
par Jo Pinto Maïa
De Andy Warhol à JR, le photomaton est un genre, avec son traitement de l’image, son côté moderne et réaliste, teinté de nostalgie, instantanés qui restent gravés ensuite dans nos mémoires. Ici, ma proposition est en trois étapes capitales qui construisent le scénario et posent l’ambiance générale.
D'abord, j'ai fait environ 800 portraits, et des photos playback du groupe, sur un fond blanc, avec un traitement d’image dans le style photomaton en argentique, aussi bien noir et blanc que couleur. J'ai ensuite imprimé ces photos et les ai animées en stop motion (maximum 8 images par séquence en boucle, tel un gif). J'ai ensuite re-filmé image par image ces gifs dans différents décors.
DENNER
DENNER
Denner est un groupe né à New York vers 2005, de la rencontre du breton Gilles Le Guen, de Adam Humphreys et Mike Pate. Ensemble, ils commencent à travailler à Brooklyn sur quelques démos qui aboutissent en 2010 à l’enregistrement de l’album Nouvelle-Bretagne. Autoproduit, sorti à 300 exemplaires vinyles, distribués aux États-Unis, en France, Espagne, Belgique, Allemagne, et aux Pays-Bas. L’accueil est favorable.
De retour à Rennes, Gilles opère une réorganisation du groupe. David Cadoret devient bassiste (Gil Riot Band…), Philippe Kervella, batteur (The Jaywalkers), et Yann Even, guitariste de Denner qui se produit dans l’Ouest et à Paris, avant d’enregistrer son deuxième album sorti 2017. Neuf titres enregistrés entre Trégor et Rennes, proposés sur vinyle orné du superbe Retour, peint par Guillaume Montier...
JO PINTO MAÏA
JO PINTO MAÏA
Anciennement photographe et affichiste pour des groupes rock, Jo Pinto Maïa baigne dans l’univers des TransMusicales de Rennes. En 1983, il fait ses premiers pas dans la réalisation avec des clips tournés en super 8, format qu’il affectionne depuis sa première caméra reçue à l’âge de 12 ans.
Malgré des budgets quasi inexistants, il obtient avec sa première réalisation pour Dominic Sonic des diffusions sur Canal+ et MTV, et se fait remarquer dans Lunettes noires pour nuits blanches, l’émission de Thierry Ardisson. Il s’impose en tant que réalisateur de clips auprès des maisons de disques parisiennes. Elmer Food Beat, Alpha Blondy, Thiéfaine, Zebda, Minimal Compact, Dolly, ou Matmatah passent devant ses caméras 16 ou 35 mm, en France et à l’étranger.
Au bout de quelques années, il s’oriente vers l’habillage télé, se faisant monteur et truquiste. Il conçoit les inter-programmes pour une chaîne jeunesse, mettant en scène dans des aventures rocambolesques, ou encore les aventures du super héros Fox Man. Plus de 70 mini-films seront ainsi conçus en 2 ans et revendus aux 35 chaînes Fox Kids dans le monde.
Jo Pinto Maïa réalise ensuite une quinzaine de pubs TV, partageant durant 3 ans sa vie entre Rennes et Casablanca...
Sans un zeste de nostalgie
Sans un zeste de nostalgie
LA PRESSE D'ARMOR, Annick Guillemot >>> PORTRAIT : Des goûts marqués par la mouvance post-punk et new wave des années 80, de Joy Division aux Français de KaS Product ou Marquis de Sade mais aussi Echo and the Bunnymen, Siouxsie.
BENZINE MAGAZINE, Mathieu Marmillot >>> Denner ne ment pas. Un zéphyr propulse un son post new wave, sans un zeste de nostalgie. Denner s’inscrit dans la longue liste de groupes bretons biberonnés aux effluves post-punk et indie.
ADDICT-CULTUR, Ivlo Dark >>>
Explosion d’une pop énergique au travers de l’entêtant Refuelled, pièce majeure de l’opus dont les contaminations remplies de fraicheur se combinent à une amplification orchestrale majestueuse.
LE TÉLÉGRAMME >>>
Figure atypique de la scène bretonne, le DJ trégorrois propose des sets dédiés à la vague froide et synthétique qui a rythmé les années 80. Un style détonnant qu'il a développé dans le quartier de Williamsburg, à New York, où il vivait jusqu'en 2005.
BUZZONWEB, Franco Onweb >>> PORTRAIT Jo Pinto Maïa : rencontre avec un aventurier des images !
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