Turn to dust

cascadeur turn to dust cover la mouche

Quand on veut trouver du sens, on en trouve. C'est même le commencement de la paranoïa.
Dominique Noguez in Soudaine mélancolie

Cascadeur a sorti le 30 mars 2018 son nouvel album Caméra et nous propose comme premier single Turn to Dust , avec un clip tourné en Bretagne par Akim Laouar Aronsen.
De manières aussi alternatives que liées, les champs de la paranoïa et de ce qu'il convient d'appeler la vidéoprotection sont parcourus par le biais de subtiles références à Brian De Palma et Alfred Hitchcock.

TURN TO DUST de Cascadeur

un clip réalisé par Akim Laouar Aronsen (2018-3’34)

Luc, un jeune néo-prêtre pour le moins particulier, n’a qu’une seule raison de vivre : guetter les moindres faits et gestes de Cascadeur, et ce par le biais d’une sublime tour de contrôle depuis laquelle il pilote un drone pour le moins intrusif...

Mais notre artiste au casque supporte peu ce manque d’intimité. Il opère alors une métamorphose spectaculaire ! En effet, observé telle une mouche tout au long du clip (référence à ses lyrics du 1er couplet : zoom at my body like a fly ), Cascadeur parvient finalement à se dissoudre et se transformer, non pas en poussière (référence à Turn to dust ), mais en une myriade de mouches impossibles à suivre, au grand désarroi de Luc.

CHRONIQUE

La paranoïa

1- L'observation

Le drone et la régie vidéo présentés dans Turn to Dust semblent loin d'être bienveillants et tout semble sous contrôle... Le clip fait référence à Brian De Palma, un cinéaste qui se penche sur les technologies, pour ce qu'elles permettent d'étudier, de préciser, d'affiner... tout en révélant des aspects de la réalité que l'on aurait préféré occulter. Autre clin d'œil possible au réalisateur du Nouvel Hollywood, le corps handicapé du comédien Luc Bruyère pouvant renvoyer à celui de Winslow Leach -héros infortuné de Phantom of the Paradise s'inspirant en partie du Fantôme de l'opéra de Gaston Leroux 1910 ainsi que de toutes les adaptations cinématographiques engendrées par ce roman fantastique. Alors que De Palma nous offre un protagoniste portant un masque pour dissimuler un visage atrophié et s'aidant d'une synthèse vocale pour pouvoir parler, le clip de Cascadeur propose un corps et une graphie complétés par un bras de mannequin en polypropylène.
Depuis des décennies la place de la caméra (le terme anglais camera désignant autant le dispositif qui filme que l'appareil photo qui fige le mouvement) et le voyeurisme qu'elle peut amener sont questionnés par de multiples types de créations audiovisuelles.


Cela peut être à travers la totalité des films de Peter Watkins (Punishment Park, 1971, fiction qui reçu l'Oscar du meilleur documentaire), La Mort en direct de Bertrand Tavernier (1980) avec Harvey Keitel se faisant greffer une caméra à la place d'un œil, la série Le Prisonnier (1967-1968) au cours de laquelle Patrick McGoohan est traqué dans ses moindres faits et gestes par des technologies invisibles, ou encore le programme télévisé Loft Story, assumant dès sa première saison en 2001 l'usage de 26 caméras et 50 micros filmant 24h sur 24.

Il convient donc de distinguer la marge (ou plutôt le fossé) distinguant les notions de surveillance et de protection. Ce n'est d'ailleurs probablement pas un hasard si la laisse reliant le protagoniste du clip au drone qu'il promène - tel un animal de compagnie - est une chaîne (de télévision ?) constituée d'anneaux métalliques. Ainsi sont rattachés autant la caméra que le réalisateur / acteur et éventuellement esclave.

2- La paranoïa

En réponse aux attentes d'Andy Warhol désirant pour le premier album du Velvet Underground une chanson aux paroles paranoïaques, Lou Reed et John Cale lui composent en 1966 Sunday Morning et son troublant conseil Watch out, the world's behind you ! (Attention, le monde est derrière toi !). Cette mise en garde contre le regard (et le jugement) d'autrui, nous le retrouvons dans le clip de Turn to Dust dès les premiers mots de la chanson : Someone follows me, All the time, Zoom at my body, Like a fly (Quelqu'un me suit, tout le temps, zoomant sur mon corps, telle une mouche).
Ce sentiment oppressant trouve un écho dans la série d'anticipation Black Mirror (depuis 2011) , décrivant l'impact des technologies émergentes sur notre quotidien et leur influence néfaste sur les libertés individuelles. Il renvoie aussi immanquablement à la trilogie que forment Blow-Up (Michelangelo Antonioni, 1966), Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974) et Blow Out, lesquels reflètent autant du traumatisme suscité par l'assassinat de John F. Kennedy et des images tournées par le cinéaste amateur Abraham Zapruder que des évolutions technologiques, la miniaturisation des appareils et leur démocratisation à partir des années 1960-1970. Le sentiment d'oppression voire de persécution suscité par le matériel vidéo montré dans Turn to Dust vient de loin, et peut-être principalement de là.
La nature et le monde animal sont aussi présents dans le clip, que ce soit par l'intermédiaire de l'eau et du Christ crucifié (amputé lui aussi d'un bras) semblant flotter au dessus de celle-ci. Cela se fait de même par le biais de mouches et de leurs yeux composés... analogie imparable à la régie vidéo, dispositif technique rassemblant caméras et écrans de contrôle.
Il est probablement trop facile de voir dans la représentation de l'insecte une référence à David Cronenberg (La Mouche, 1987) ou au film dont il s'inspire (La Mouche noire de Kurt Neumann, 1958). Il est par contre possible d'imaginer une référence à l'autre éternelle lubie de Brian De Palma : le cinéma d'Alfred Hitchcock parsemant continuellement et de manière plus ou moins subtile la filmographie de son disciple.
Lors de la dernière scène de Psychose, Hitchcock fait dire à la mère de Norman Bates que celui-ci ne ferait même pas de mal une mouche ; la tension drapant cette déclaration pleine d'innocence épiloguant le film d'horreur fait justement miroir à la confrontation entre d'une part l'insecte géant et l'interprète du morceau (à partir de 2'23) et d'autre part le volatile à taille réelle et une tapette inoffensive tenue par le protagoniste du clip (à partir de 2'33).
Ultime allusion à Hitchcock (probablement fantasmée), le positionnement du drone entre les branches d'un arbre (à partir de 3'21). Plus qu'un insecte (ou un individu) pris au piège d'une toile d'araignée géante, nous y voyons le reflet d'un prédateur (le drone) se rebellant contre sa domestication et adoptant une attitude ouvertement agressive... tels les volatiles (nous y revenons une nouvelle fois !) posés sur le jeu d'école dans Les Oiseaux (1963).
C'est par le biais d'une vidéo musicale et donc visible par le biais d'un écran que nous sommes invités à réfléchir à l'usage des technologies médiatiques et il n'y a probablement rien de cynique à cela. D'ailleurs, j'invite tout le monde à cultiver, au contraire, son jardin de paranoïa. C'est aujourd'hui la seule clé pour comprendre réellement le monde. (Maxime Chattam in Les arcanes du chaos).

INTENTION

Une relation triangulaire

le drone cascadeur
la croix cascadeur
la mouche cascadeur

par Akim Laouar Aronsen

À travers ce clip, je souhaite exprimer et faire ressentir au spectateur la sensation d’intrusion, de manque d’intimité, d’être épié en permanence. On est dans un univers onirique, hors du temps et de l’espace. Aucun point de repère. On est happé par les personnages charismatiques que sont Cascadeur et Luc, tout autour ce ne sont que des magnifiques et vastes décors servant d’écrin à leur opposition. Mon approche artistique est de créer une relation triangulaire entre le drone, la croix et la mouche.

  • Le drone symbolise l’œil qui traque notre personnage. Il est l’instrument de contrôle de Luc, notre néo-prêtre, qui a vraisemblablement délaissé ses idéaux religieux pour la nouvelle technologie. Le drone, avec son design cruciforme s’oppose à la croix poussiéreuse et prend sa place dans la notion du sacré.
  • La croix symbolise l'ésotérisme de Luc, l’ennemi de notre héros. Son esthétique est puissante. On a la chance de pouvoir opérer un parallèle entre le cruciforme et Luc, en effet les deux ont un bras manquant, et le montage mettra cette particularité en exergue.
  • La mouche symbolise la vision que Cascadeur a de lui-même, et par extrapolation la sensation qu’il a de chaque être humain civilisé vivant sous l’œil des caméras de surveillance, de la traçabilité d’internet... Big Brother nous observe tels des insectes.

Je tiens à préciser que ce clip n'a aucun message à faire passer à propos de quelque religion que ce soit. J'utilise l’univers chrétien pour donner plus de puissance, par effet de contraste, à la nouvelle technologie symbolisée par le drone. Comme dans le livre Homo Deus, on sous-entend que la nouvelle technologie a remplacé la religion. Si on veut une référence, on n’est pas loin du clip de Woodkid - I love you dans l’utilisation de ces codes.
J’ai eu un énorme coup de cœur pour ce projet, d’une part lors de l’écoute de la musique et des paroles, mais également lors de notre repérage. J'ai découvert des lieux inspirants et mystiques, qui n’ont fait qu’aller dans le sens de mon scénario. Après avoir découvert cette croix particulière, j’ai tout de suite pensé à Luc Bruyère qui a répondu présent, celui-ci va apporter énormément au visuel de ce projet et permettre au personnage de Cascadeur de prendre plus de puissance puisqu’il a un ennemi charismatique face à lui à présent.

BIOGRAPHIE

CASCADEUR

cascadeur portrait

En 2008, Cascadeur remportait le concours CQFD des Inrockuptibles, et le public découvrait ses premiers titres à travers les compilations Kitsune.
Ses deux premiers albums The Human Octopus (2011) et Ghost Surfer (2014) ont connu un succès public et médiatique, avec deux tournées et près de deux cents concerts.
En 2015, il remporte la Victoire de La Musique de l’album électronique avec Ghost Surfer. Depuis quelques années, Cascadeur multiplie également les collaborations avec le cinéma, de Laurent Tuel, Toledano & Nakache (Le sens de la fête), Edouard Pluvieux, en passant par des bandes annonces pour Michel Gondry, Jalil Lespert ou Ryan Murphy...
Le spectre musical prend désormais la forme d’un éventail plus large qui varie les plaisirs et les rythmes.
Pour écrire les textes de son nouvel album qu'il intitule Camera, il a puisé aux sources du cinéma (celui des années 70-80) : des histoires de violence et d'érotisme, d'espionnage et de manipulation, d'obsession et de nuit, dont la beauté stylisée plane sur l'album.

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BIOGRAPHIE

AKIM LAOUAR ARONSEN

Akim Laouar Aronsen

Akim Laouar Aronsen est réalisateur, chef-opérateur et monteur. Il vit à Paris.

Né en 1986, à quelques encablures de Rouen, de mère norvégienne et de père algérien, Akim déménage régulièrement, d’Angleterre en Espagne, des États-Unis en Norvège.
Se laissant guider par ses rencontres, Akim a aussi beaucoup appris grâce aux tutos sur Youtube. Il vient à la vidéo en 2015. Alors qu’il vit en colocation avec une amie, il lui montre ses créations. Immédiatement, elle les propose à Filentre qui fait du Reggae à Montpellier dont Akim va réaliser le prochain clip et bien d'autres...
Son clip pour Cascadeur Turn to dust, a été tourné au Studio Kerwax en centre Bretagne proche Guingamp.

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COMMENTAIRES

  • 25 avril 2018 12:59 - laouar slimane

    super .

Artistes cités sur cette page

cascadeur portrait

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Akim Laouar Aronsen

Akim Laouar Aronsen

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