Pont-l'Abbé à bout portant
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Un gars se fait toute une histoire autour d'un gang, pour finalement se rendre compte qu'il n'y avait pas de quoi en faire toute une histoire. C’est ainsi qu’Antoine Garrec résume son premier film : Le Gang des DS, un polar désopilant en pays bigouden. Nous avons demandé au réalisateur de remonter le fil du processus de création de son œuvre qui mêle tranquillement les genres : le documentaire et la fiction, même la comédie musicale ! L’histoire est en effet chantée, clipée, étayée par quelques archives et reconstitutions... Un film-esquisse, plein d’énergie créatrice.
KuB est partenaire du Festival du film de l’Ouest et y décerne le Prix du meilleur clip, en partenariat avec le Grand BaZH.art.
LE GANG DES DS
LE GANG DES DS
d'Antoine Garrec (2016-59')
Toute une histoire
Toute une histoire
Par Antoine Garrec
En 2009-2010, j’ai tourné un film de fiction dans le Pays Bigouden avec un caméscope que m’avait prêté un ami. Le film devait s’appeler En route pour le soleil rouge ; il reste inachevé à ce jour. L’idée était de retranscrire des ambiances d’endroits sauvages et désertiques du Pays Bigouden : estuaires, forêts, chemins creux, rocade en construction, dunes, casemates, digues écroulées... Mais je ne me voyais pas me lancer dans un film purement contemplatif sans scénario. Alors, j’ai demandé à un ami de marcher dans ces endroits, en composant quelques morceaux de musique. Son personnage commençait par croiser une femme fatale dont il tombait amoureux mais qui aussitôt disparaissait. Il rencontrait ensuite un mystérieux auto-stoppeur qui, par un jeu de piste un peu compliqué, finissait par l'attirer dans une fête truffée de zombies. À la fin, le héros s’échappait à bord d’une Chevrolet Impala de 1959 en compagnie de la femme disparue. Ce film était une sorte de road-movie bigouden où, pour échapper à l'ennui de son quotidien, le héros se laissait peu à peu emporter par ce qu'il voyait ou croyait voir, pour finir par se retrouver dans un mix entre film noir et film de zombie.
Certains endroits que j'avais repérés pour ce film inachevé me sont restés en tête. D’autres s’y sont ajoutés comme par exemple d'anciens lieux de cultes : églises abandonnées, menhirs, chapelles... J’ai ainsi commencé (très vaguement) à faire des recherches sur les mythes bigoudens en essayant de mettre la main sur des rituels païens féminins, plus ou moins éclipsés par le catholicisme.
Et puis, j’ai écrit des bribes de scénario où l'action se déroulait à notre époque et où le héros était amené malgré lui (suite à des événements inattendus qui ne lui laissaient pas le choix) à mener une enquête sur le passé.
Parallèlement, naissait en moi l’envie d’enregistrer des anecdotes entendues dans les bistrots bigoudens (en particulier celui tenu par mon père et mon oncle) : des histoires plus ou moins vraies, souvent exagérées mais très bien racontées.
Et puis, un soir de février 2015, en fumant une cigarette sur la terrasse déserte d'un bar de Pont-l’Abbé, un mystérieux inconnu (que je n’ai jamais revu) m’apprit l’existence de l’affaire du Gang des DS. Selon lui, dans les années 70 ou 80, une bande de jeunes aurait remonté la rue principale de Pont-l’Abbé à bord d’une ou plusieurs Citroën DS en tirant à coup de 22 long rifle dans les vitrines des commerçants. Deux ou trois jours plus tard, complètement par hasard, dans un autre bar de Pont-L’Abbé, une autre personne me parla encore plus en détails de ce fait divers car un des leaders du Gang qu’il connaissait un peu venait de mourir.
Cette histoire me trotta dans la tête quelques semaines jusqu’à ce que je me rende compte que je tenais là un sujet de film reprenant plus ou moins la plupart de mes idées et envies que j’avais eues ! J’hésitais entre fiction et documentaire, mais comme il me fallait rencontrer des personnes pour avoir de la matière, j'ai décidé de commencer par réaliser des interviews. Thomas Charmetant (un ami musicien et documentariste) m'a ainsi prêté du matériel : un micro statique pour capturer les ambiances, un micro cravate et un boîtier photo/caméra (avec un objectif grand angle que j’ai pas mal utilisé). À noter que certains passages ont été filmés avec un autre boîtier prêté par mon cousin et avec un caméscope que j’ai fini par m’acheter en décembre 2015. C'était plutôt compliqué de réaliser des interviews. Au début, j'ai essayé d'interviewer des clients de bars, qui avaient plus ou moins entendu parler de ce Gang des DS mais personne ne voulait se laisser filmer. En revanche, grâce à leurs témoignages, j'ai pu récolter assez d'informations (plus ou moins contradictoires) pour en faire une chanson. En fait, écrire cette chanson est le seul moyen que j'ai trouvé pour retranscrire et résumer ces témoignages. Les images de reconstitution ont été tournées une fois les paroles terminées (à la manière d'un clip), tout comme les dessins, chansons de reconstitutions... C'est au vu de la teneur de la première interview (celle de Pierrot) que je me suis décidé à orienter le film vers le documentaire. Documentaire, au sens d’une investigation sérieuse sur l’affaire, qui expose des points de vue différents sur un même fait, présentant peu de preuves matérielles et beaucoup de souvenirs personnels. Documentaire enfin, dans le sens de laisser le réel s’immiscer dans le tournage, même s’il est digressif. Laisser la place à l’inattendu, la surprise… une aventure à laquelle il faut croire un minimum pour s’y embarquer, celle qui survient au moment où l’on s’y attend le moins, au moment où l’on cherche complètement autre chose ou qu’on ne cherche plus.
Ainsi, la manière de mener cette enquête a été créée au cours du tournage et du montage. Il n’y avait pas de préméditation, d’intention claire.
J’ai remonté la piste jusqu’aux membres du Gang des DS, grâce à mon père qui m’a rencardé sur Pierrot qui m’a rencardé sur Patrice (que je connais en fait depuis mon enfance car c’est un client du bar familial) qui lui-même m’a présenté Youx et m’a filé le numéro de téléphone de N (l’égérie du Gang). Il est vrai que dans certaines situations, être bigouden a facilité la confiance (Ah ! T'es le fils du bar-resto-boulangerie ?). Même s’il y a parfois eu quelques réticences (très peu finalement), le fait d'arriver chez les interviewés avec caméra et micro, de leur poser des questions sur cette histoire remontant à 25 ou 30 ans en arrière m’a permis de faire de vraies rencontres, de passer de bons moments et de découvrir une facette méconnue du Pays Bigouden (plutôt éloignée des guides touristiques). J’ai tourné la plupart des images de la version courte de mi-juillet (le 17 exactement) à fin août 2015 : à savoir les interviews de ma mère, de Pierrot, de Patrice et de Youx, et la rencontre avec les deux mystérieux inconnus druidiques dans la forêt (cette dernière scène a été filmée par ma sœur Andrea). J’ai achevé la version courte de 8’ le 15 septembre 2015, jour de la dead line du FestiVidéo Bigoud, le seul festival de cinéma bigouden (imposant un format inférieur à 8’). Pour moi, c'était important de participer à ce festival pour que le film soit vu par des Bigoudens. Finalement, le samedi 21 novembre 2015, Le Gang des DS (version courte) est projeté au FestiVidéo Bigoud devant environ 150 personnes et reçoit le prix d’encouragement du jury et le prix du public. J’ai ensuite continué le montage en rallongeant des scènes et en en rajoutant des nouvelles, entre autres celles que je n’avais pas pu inclure dans la version courte comme celle de la rencontre avec le bip de censure ou la scène mystique dans la forêt. J’ai aussi réalisé en décembre l’interview de FX (le bigouden expatrié à Washington). Ce qui a abouti à une version d’une demi-heure fin décembre 2015.
Mais au bout de quelques mois, je me suis rendu compte que mon enquête sur le Gang n'était pas terminée. J'ai donc interviewé les patrons du bar Le Longchamp en mars 2016 et N, l'égérie du Gang des DS, en juin. J’ai ainsi remonté certaines scènes avec ces nouveaux éléments mais aussi avec d'autres rushes ressortis de mon stock. J’ai aussi composé et enregistré une nouvelle chanson afin de bien expliquer la façon dont je suis parvenu, par d'étranges hasards ou non-hasards, à rencontrer les membres du Gang. J'ai d’ailleurs mis un certain temps avant de trouver la bonne manière de le faire. Tous ces nouveaux éléments ont contribué à éclaircir l'enquête (ou parfois l'inverse) mais surtout à créer plus d’interactions, de répondant, entre mes différents personnages (en jouant sur le décalage des points de vue tout en faisant très attention à ne pas tomber dans la moquerie). Le rythme général du film a ainsi été largement dynamisé.
Le mixage du film a été fait à l'île de Sein avec Thomas Charmetant.
Tout ceci a abouti à la version finale de 59’ dont l'avant-première a eu lieu le 3 décembre 2016 dans la salle de restaurant du bar-boulangerie-restaurant ouvrier Chez Garrec tenu par mon père et mon oncle à Pont-L'Abbé devant un peu plus de 110 personnes. J'ai vraiment été surpris ce soir-là par la réactivité du public (les rires, les interventions pendant la projection...) et l'ambiance de la salle : c'était super ! L’étalonnage du film s’est ensuite achevé courant janvier 2017 avec Margaux Parillaud (amie performeuse et monteuse) notamment en re-filmant des scènes de reconstitution avec une caméra VHS. Les sous-titres anglais on été réalisé par Troy Robinson (un ami canadien de Thomas).
Dans un échange de mail, Serge Steyer (le responsable des programmes de KuB) m’a écrit : J’ai regardé, je suis bien sûr toujours intéressé. Mais je me suis quand même demandé si la version longue n’était pas un peu too much longue. J’ai répondu que je pensais que l'effet "longueurs" se ressent surtout vers la fin car le rythme du montage décélère un peu. Les plans sont plus longs car on reste plus longtemps avec les intervenants : l'américain, les patrons du Longchamp puis la voix du Ouest France. Pourquoi? Parce que je ne voulais pas couper leurs histoires. Si je l'avais fait, cela aurait embrouillé le spectateur (sans raison valable à mes yeux à ce moment du film). Et puis, je trouve que ces longueurs qui arrivent vers la fin du film participent au suspens. L'effet recherché est que le spectateur se dise à chaque histoire : Cette histoire n'en finit pas... C'est que ça doit être la bonne ! Enfin la vérité !
Je suis conscient que ces longueurs peuvent être prises pour une maladresse car en général à la fin d'une enquête, le rythme s'accélère jusqu'à l'ultime révélation. Mais cette décélération participe à la trame générale du film : un gars (moi) qui commence par se faire toute une histoire autour d'un Gang pour au final se rendre compte qu'il n'y avait pas de quoi en faire toute une histoire. Et je rajoute ceci : on peut potentiellement faire une histoire sur n’importe quel sujet. C’est la manière de raconter qui la rend chouette. La manière dont elle est mise en scène. Quant à la véracité des histoires, elle est intimement liée aux souvenirs. Les souvenirs qui ne sont pas des mensonges mais des versions personnalisées, des points de vue sur le passé. Ces souvenirs qui créent et défont les mythes… Antoine Garrec
Antoine Garrec
Antoine Garrec
Antoine Garrec est bigouden et n’a presque pas 30 ans. En 2013, il achève poliment ses études rennaises en obtenant une Licence de cinéma et un DEM Musiques actuelles amplifiées en chant et claviers au Conservatoire. Depuis 2011, il compose des chansons en français qu’il joue accompagné de ses synthétiseurs sur les routes de France. À l’été 2015, il se lance dans une enquête-filmée bigoudène : Le Gang des DS. Le film (auto-produit) voit le jour en décembre 2016
13 décembre 2020 21:11 - jean michel le floch
ce fut un grand moment de retrouver ce mythe, formidablement mis en scène par antoine garrec ! un grand hurrah !
15 novembre 2018 10:45 - JR MEUR
Beaucoup de souvenirs ! Bravo !!!j