Un calme étonnant
ÉRIC RUF, REMÈDE À LA MÉLANCOLIE
ÉRIC RUF, REMÈDE À LA MÉLANCOLIE
par Éva Bester (2018 – 49’)
C’est en 1998, sur le tournage du Voleur de vie d’Yves Angelo à Ouessant qu’Éric Ruf découvre l’ouvrage de Jean-Pierre Abraham, gardien de phare. Armen fait partie de ces livres empochés à vie, dont les phrases scintillent, révèlent des pans de pensées informulées, dit-il. Le comédien l’adapte pour la scène et le fait jouer à Pont-L’Abbé en 2004. En 2011, à Douarnenez, il participe à l’hommage rendu à Jean-Pierre Abraham lors d’une lecture publique.
Mais l’attachement de Ruf à la Bretagne ne s’arrête pas là. En 2001, il achète et rénove une ancienne école à Penmarc’h, où il passe chaque année des vacances en famille. Un retour aux sources nécessaire pour celui à qui il reste toujours des timidités de provincial de Belfort. En Bretagne, les gens se moquent de qui je suis et de ce que je fais, dit-il. Dans l’accomplissement des activités simples de sa vie bretonne (désherber, peindre, courir, nager…), son esprit se met en jachère et de là se nourrit sa créativité. Au détour d’une promenade dans la campagne, un bout de mousse, un nuage, lui inspirent des idées de décors de théâtre. C’est aussi le temps changeant qui le fascine, il y change tellement vite qu’il donne des éclairages. Ainsi, il associe la Bretagne au calme et à la mélancolie, en même temps qu’à son extrême inverse : la tempête et le changement permanent, le tout dans une beauté saisissante.
Jean-Pierre Abraham, gardien d’Ar-Men
Jean-Pierre Abraham, gardien d’Ar-Men
un reportage de Jean Pradinas (1962 - 12’)
Avant même la parution d’Armen, Jean-Pierre Abraham fascinait le journaliste Jean Pradinas. Son reportage Les coulisses de l’exploit devait être centré autour de l’équipe des gardiens du phare d’Ar-Men, mais le jeune homme de 20 ans qu’est alors Jean-Pierre Abraham étonne, et très vite il prend la place principale dans ce film.
Son parcours atypique est surprenant. Rien ne prédestinait ce fils de dentistes lorientais, inscrit en faculté de lettres à la Sorbonne, à devenir gardien de phare. Parce qu’il avait l’impression que la vie se passait sans lui et à son insu, Jean-Pierre Abraham jette son dévolu sur Ar-Men, alors qu’il navigue alentours. Il décide alors de passer la formation de gardien de phare et s’engage dans une existence dépouillée et réglée sur les tours de garde et les réparations des dégâts causés par la mer. Il vit dans une seule pièce et n’emporte avec lui que trois ouvrages : un album sur Vermeer, un autre sur un monastère cistercien et un recueil de poèmes de Reverdy. Armen, publié en 1967, est une sorte de journal de cette expérience. Il en publiera une suite quelques années plus tard.
Hommage à Jean-Pierre Abraham
Hommage à Jean-Pierre Abraham
En juin 2011, la médiathèque municipale de Douarnenez rend hommage à l'écrivain Jean-Pierre Abraham (1936-2003). Extrait de la lecture d’Armen par Vonnick Caroff, Vincent Leterme et Éric Ruf.
Éric Ruf
Éric Ruf
Né en 1969 à Belfort, Éric Ruf est acteur, scénographe et metteur en scène. Il étudie le théâtre à l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art, puis au cours Florent. Il entre à la Comédie Française dès 1993 et en devient administrateur général en 2014. Sur les planches, il a incarné Ruy Blas, Dom Carlos dans le Dom Juan de Molière, ou encore Pyrrhus dans Andromaque. En 2004, il adapte Armen de Jean-Pierre Abraham.
Jean-Pierre Abraham
Jean-Pierre Abraham
Jean-Pierre Abraham est né à Nantes en 1936. Il est l’auteur de différents récits autobiographiques, de poésie en prose et d’histoires pour enfants. Armen, son livre le plus célèbre, lui est inspiré par son expérience de gardien dans le phare du même nom.
Éric Ruf et la Bretagne
Éric Ruf et la Bretagne
TÉLÉRAMA >>> À la naissance d’Aliocha, mon fils aîné, il y a seize ans, j’ai acheté pour rien cette école en ruine. J’aime y bricoler, casser des cloisons, les reconstruire, faire de la peinture, du gros œuvre, travailler le bois pour des escaliers, des mezzanines. Mon père bricolait. Il m’a souvent forcé à le faire. Cette fatigue-là me vide la tête. Je n’ai pas envie de parler de la Comédie Française en vacances ni de lire aucune pièce. Dès que j’ai quitté mon bureau de la Comédie Française et me retrouve trois semaines en Bretagne en tongs, tee-shirt et short, j’ai l’impression de décrocher totalement, de ne plus savoir être administrateur… Mon rythme de vie change. Je bâille à 21h30, me réveille à 6h30. Je me recentre, je passe enfin du temps avec mes enfants. Et je redeviens paysan. Je me repose en créant une autre fatigue, je me vide en faisant une autre activité. Si je m’arrête, ma pensée part dans tous les sens ; elle ne se renouvelle que si mon corps répète une activité simple et facile : désherber, peindre des fenêtres, nager, faire du vélo, courir. Je me soulage en faisant des choses qui ne servent à rien. L’herbe ne repousse-t-elle pas toujours ? Je libère mon esprit en créant de la jachère. Et c’est ainsi que les idées viennent, que j’imagine des scénographies.
L'ÉLÉPHANT >>> Quand je pense à la scénographie d’un spectacle, je ne pars pas immédiatement dans la construction de la maquette. J’attends que l’idée germe. Je pérégrine. Je me balade, je fais d’autres choses, je vais courir aussi. Et très souvent, c’est dans un geste répétitif, quand je n’ai pas à penser, que les idées me viennent. J’ai une maison en Bretagne et, quand je peux, je cours à côté de chez moi. Il y a un circuit que j’aime beaucoup là-bas. Si on faisait ensemble ce chemin d’une dizaine de kilomètres, je pourrais vous indiquer exactement là où m’est venue l’idée des décors pour Cyrano, là où m’est venue l’idée de Fantasio… Je m’en souviens très bien : c’est un bout de mousse, un nuage, un élément du paysage atlantique. Ce que j’adore en Bretagne, c’est le temps. Le temps change tellement vite qu’il donne des éclairages…
COMMENTAIRES