Ma place à table
Famille d'accueil
Ma place à table, c’est une petite forme intime, une quinzaine de spectateurs autour d’une table recouverte d’une nappe à carreaux, des histoires, des témoignages et du pain perdu au caramel.
C’est leur façon de faire, aux frères Pablof. Rencontrer des gens, les questionner, les écouter, les filmer, les enregistrer, puis nous donner à entendre ces paroles en les nappant de leur sauce à eux. Leur sauce, c’est de la musique, de la chanson, de l’image, des histoires, qui se superposent comme dans un plat de lasagnes. Quand les frères vous accueillent à table, ce sont bien eux, quand ils se mettent à raconter, encore eux et plus tout à fait, la frontière entre comédien et humain est poreuse et c’est bien.
MA PLACE À TABLE
MA PLACE À TABLE
par les Frères Pablof (2018 - 5')
En interrogeant notre place à table, nous questionnons plus largement l’esprit de famille, sa représentation, sa multiplicité. Nous interrogeons dans l’intimité de la cuisine et de la salle à manger, ce qui fait société, ce qui fait sens commun. Tous les ingrédients sont là pour faire du théâtre, pour jouer avec la cuisine familiale ou l’art d’accommoder les restes !
Cette vidéo est co-éditée par >>> KuB et le Théatre de Lorient
Un moment convivial
Un moment convivial
par Isabelle Nivet
Ici, l’acteur ne se transforme pas quand s’ouvre le rideau, d’ailleurs, de rideau il n’y en a pas, sinon celui qui fait un dérisoire écran sur l’étagère derrière laquelle les frères font leur tambouille, de la vidéo à la préparation du caramel. Tout se mélange sur cette étagère, l’écran vidéo qui diffuse des images enregistrées ou en live, celle du sucre glace qui raconte la neige qui tombe sur la Chapka de l’un, celle des frisures d’oranges que pèle l’autre, celles d’enfants de familles recomposées, qui racontent comment se passent les repas qu’ils prennent avec leurs frères et sœurs, leurs demis, leurs adoptés, leur accueillis. Tout se mélange des histoires de ces deux vrais complices et faux frères, qui parlent en russe ou en portugais, chantent des racines réelles ou imaginaires, planqués derrière des boîtes de sucre Daddy ou des pots de confiture Bonne maman. Ah, la famille…
Pas de rideau qui tombe à la fin de ce spectacle doux et tendre comme un moment passé à la table de la cuisine à regarder ses parents préparer le repas. Pas de rideau mais des assiettes qui circulent vers les spectateurs, quartiers d’orange comme un cadeau de Noël, cigarettes russes comme des madeleines pablofiennes, pain comme un paradis perdu de l’enfance. Alors la parole se dénoue, comme une illustration de cette notion espagnole intraduisible de la sobremesa, ce moment d’après repas, pris sans hâte, juste pour le plaisir d’être ensemble et de continuer la discussion…
Du théâtre en cuisine
Du théâtre en cuisine
par les Frères Pablof
Alors, c’est quoi ta place à table ? Lors d’une conversation avec une formatrice d’un Cedass qui encadre des travailleuses familiales, nous avons parlé de la place des enfants en famille d’accueil et plus précisément des enfants accueillants. Le Département d’Ille-et-Vilaine nous a commandé une action culturelle auprès d’enfants biologiques de familles d’accueil. Nous avons proposé un laboratoire de création auprès d’un petit groupe d’enfants de 8 à 15 ans. Un laboratoire avec des marionnettes pour jouer, des entretiens pour se raconter et du théâtre en cuisine pour dire ses goûts et ses dégoûts. Nous avons intitulé le projet Ma place à table.
Cette question de la place à table, au-delà des familles d’accueil, interroge toutes les familles. Des familles mono ou multiples, recomposées ou non, qui autour de la table, donnent une place à chacun (qu’elle soit attribuée ou pas), décrivent un mode de vie, donnent un ordre au monde.
Je me souviens du rond de serviette en bois avec mon prénom pyrogravé, je me souviens de qui mangeait devant la télé, ou près de la cuisine. Qui pouvait parler, qui devait se taire. Qui se sert en premier ?
Je me souviens des repas de familles où, 13 à table, on rajoutait un couvert. Je me souviens du jour où c’est mon petit frère qui a pris ma place près de ma mère. Je me souviens des disputes avec mon frère, pour savoir qui, les jours pairs, serait de corvée de lave-vaisselle. Je me souviens du rire tonitruant de mon grand-père qui me figeait le nez dans mon assiette. Je me souviens ado, de manger à la droite de mon père, de façon à ce que nos regards ne se croisent jamais...
La cuisine d’une société est un langage dans lequel elle traduit inconsciemment sa structure, à moins que, sans le savoir davantage, elle ne se résigne à y dévoiler ses contradictions.
Claude Levi-Strauss, L’origine des manières de table
Nous imaginons une œuvre comme une machine, une machine qui, de la création à la présentation, nous aide à penser le monde. Malheureusement ou heureusement, nous ne sommes touchés par aucune grâce, aucun éclair de génie ; nous sommes à peu près orphelins de toute inspiration. À chaque fois nous imaginons des laboratoires, des dispositifs pour inviter des gens à partager ce qui nous occupe, à chercher avec nous les tenants et les aboutissants des formes et des histoires que nous allons mettre en œuvre. Ce qui se crée avec nos camarades œuvriers apparaîtra ou pas dans le spectacle, mais c’est riche de ces expériences partagées que nous le présentons.
Une démarche documentaire dans notre théâtre, qu’est-ce que c’est ?
C’est une manière de croiser des réalités, vécues ou signifiées, de faire dialoguer sur un plateau de théâtre de vrais témoignages (audio ou vidéo) avec les outils de la fiction, du théâtre de marionnette, d’objet et de figure. Chausser un point de vue, des lunettes de myopes ou de presbytes, des lunettes en relief, une lunette panoramique et regarder ses pieds : c’est déjà une démarche documentaire, c’est soumettre la réalité à la subjectivité. Depuis dix ans, en quête de nous-mêmes, nous interrogeons les identités des uns et des autres. Nous nous invitons, nous, vous, et d’autres personnes à penser ce que nous sommes.
Dans notre démarche documentaire, nous venons saisir l’anodin, capter l’ordinaire tout en traquant la singularité. Tout ce qui en chacun de nous est passé sous silence, nous n’avons pas si souvent l’occasion de nous dire. Nous avons le souci de faire dialoguer les récits de chacun, nos petites mythologies. À partir de ce vécu, de la qualité de l’échange et de l’émotion partagée, nous fabriquons un théâtre de marionnette.
Le théâtre de marionnette, d’objet ou de figure se prête particulièrement à ces cheminements, d'un récit à l’autre, d’une forme à l’autre. Il permet à la fois le grand angle et le plan rapproché, des fois même le gros plan et tout ça de manière successive ou simultanée. C’est cette façon de raconter, d’arpenter différents récits, différents registres, qui met en regard ce que nous inventons et ce que les gens nous racontent.
Nous faisons intervenir sur le lieu de l’illusion des objets, des sons, des témoignages qui nous semblent plus réels parce qu’ils nous sont plus familiers, parce qu’ils appartiennent à notre réalité quotidienne, hors du théâtre. Nous fabriquons des effets de réel. C’est bien dans la distance entre ces deux perceptions que nous cherchons une certaine forme de poésie.
Nous sommes de grands myopes. Inquiets de notre perception, nous la mettons au travail. Dans ces vrais-faux documentaires, de réalités fabriquées en fictions réalisées, nous manipulons notre perception du réel afin que notre monde se laisse entrevoir, imaginer ou remémorer.
LES FRÈRES PABLOF
LES FRÈRES PABLOF
Après un voyage en Sibérie, à Irkoutsk, à 66 km à l’ouest du lac Baïkal, en Sibérie Orientale, nous nous sommes perdus dans des recherches généalogiques qui n’ont malheureusement rien donné (allez trouver un arbre dans la Taïga !). Issus d’une famille complexe, nous cherchons à élaborer ses contours. Nous sommes petits fils d’exilés russes (mais pas que), certains de nos parents au siècle dernier ont traversé l’atlantique. Nous rêvons depuis longtemps de cet eldorado et questionnons comment ce rêve peut constituer une identité familiale. Nous avons donc décidé de nous pencher sur les familles, sur ce qui constitue les fratries, la nôtre, celle des autres.
Dans de vrais-faux documentaires, de réalités fabriquées en fictions réalisées, Les Frères Pablof, Raoul et Stéphane, font dialoguer les récits de chacun, leurs petites mythologies et manipulent leur perception du réel afin que ce monde se laisse entrevoir, imaginer ou remémorer. Ils imaginent des laboratoires, des dispositifs pour inviter des gens à partager ce qui les occupe, à chercher avec eux les tenants et les aboutissants des formes et des histoires qu'ils vont mettre en œuvre. Ils pratiquent une anthropologie buissonnière, sauvage, moins soucieuse de savoir, que curieuse de ce que les gens veulent bien leur dire d’eux.
Ils ont œuvré aux côtés de Serge Boulier au Bouffou Théâtre pendant presque 15 ans sous les pseudonymes de Raoul Pourcelle et Stéphane Rouxel, dans Vache à Plumes - le Manteau - Bynocchio de Mergerac - Être peut-être comme interprètes, mais aussi La mer en pointillé en regards extérieurs, Faites comme chez vous en assistants à la mise en scène et co-auteur de Mauvaise Herbe.
Stéphane est comédien, marionnettiste et musicien. Raoul est marionnettiste, comédien et plasticien.
À taaaable !
À taaaable !
LE PICCOLO, Cyrille PLANSON >>> C’est un choix qui s’offre à nous, artistes. Soit on se retire du monde pour créer, soit on crée avec le monde. Toutes ces contraintes viennent servir notre démarche et notre manière d’exercer le métier.
8 avril 2023 19:35 - jimenez
Bonjour, j'ai assisté à votre réunion intime "ma place à table" à Almont les Junies dans l'Aveyron....je dis que votre initiative pour traiter du sujet de la famille est d'un grand intéret, une belle façon de créer des liens....cependant, si dés l'entrée le sujet avait été bien défini, la participation eut été plus active......ce n'est que mon sentiment bien sùr. Je vous souhaite une bonne continuation. Merci