Le grand BaZH.art #43
LA BLESSURE
LA BLESSURE
par Clara-Luce Pueyo
Nous sommes à la veille de la première de Membre fantôme, le nouveau spectacle créé par Karim au Carré Magique de Lannion. Avec Fabien Milet et Thibault Clerc, ses deux partenaires de jeu, Karim construit les dernières décisions pour amener son histoire intime sur scène et la rendre partageable avec le public. Les corps se tendent, les discussions vont bon train et les scènes sont répétées, inlassablement. La blessure s’apprête à prendre vie sur scène.
INTENTION
Karim, je l’ai toujours vu au travail. Courir des kilomètres dans le sable pour s’ entraîner plus, passer des heures pendant ses jours de relâche à faire de la musculation dans une pièce de sa maison qu’il avait dédié au travail du corps, faire des repas complétés de poudres protéinées et s’entraîner, des heures et des jours durant. Toujours travailler pour sans cesse repousser les limites du corps.
Ses années de rééducation à Toulouse après l’accident, je les ai suivies par le biais des vidéos qu’il postait sur les réseaux sociaux pour montrer ses progressions dans le gymnase d’entraînement. Aujourd’hui, il vient créer en Bretagne, à Lannion, pour Membre fantôme, le premier spectacle de sa compagnie. C’est un projet intime, qui parle de ce qui lui est arrivé et de son parcours face à cette blessure, mais avec la distance de la scène et de ses partenaires de jeux, Fabien Milet et Thibault Clerc. Comme tous les artistes de cirque, nous nous sommes tous déjà blessés. De l’égratignure aux points de suture, de la petite torsion aux grosses entorses, du petit coton imbibé de mercurochrome à l’opération chirurgicale.
Faire le portrait de Karim c’est raconter cette histoire. Celle de nos blessures, celles qui nous poussent à baisser les bras mais aussi à nous battre et à nous relever. C’est aussi parler de nos peurs d’avoir mal, de nos limites, de ces moments où l’on tente de mesurer les risques.
Avec ce portrait, je voudrais aussi raconter la nécessité de se jeter à l’eau pour affronter la vie et la faire sienne.
Karim Randé
Karim Randé
Karim est acrobate de cirque. En 2014, lors d’un spectacle, il chute en bascule coréenne et se brise la cheville. Après une première opération où son pied est réparé à l’aide de vis et huit mois de rééducation, il reprend son activité. Fin 2015, les douleurs deviennent insoutenables. Les vis se sont rompues, arrachant des morceaux de cartilage à chaque impact lors des spectacles et entraînements. En 2016, aucun retour en arrière n’est possible. Soit il garde son pied et ne refait plus jamais de sport ni de cirque de sa vie, soit il se fait amputer et pourra, peut-être, remonter sur la piste. La décision est prise. Karim continuera d’être acrobate de cirque.
Après les années de rééducation, d’appropriation de son nouveau corps et de son nouvel équilibre, Karim décide de raconter la blessure. Il créé la compagnie BaNCALE en 2018 et commence la création du spectacle Membre fantôme.
FRANÇOIS AUDRAIN IN SITU
FRANÇOIS AUDRAIN IN SITU
par Pierre-François Lebrun
Pour sa nouvelle création, François Audrain a voulu se concentrer sur un espace unique, un seul temps, ancré sur un territoire. Il fallait donc trouver un lieu qui touche à la fois le créateur et le passeur d'Histoire. La rencontre avec l'équipe du festival Arts in Situ, il y a quelques mois, a été déterminante. Ces passionnés d'art et de patrimoine lui ont fait découvrir Les fours à chaux de Lormandière, un ancien site industriel exceptionnel situé sur les communes de Chartres de Bretagne et de Bruz au sud de Rennes pour lequel un travail de sauvegarde et de recherche sur la mémoire ouvrière a été entrepris. Dès les premiers pas de l'artiste dans le lieu, la magie a opéré. Comment ne pas être séduit par l'incroyable atmosphère de cette usine de briques rouges et de métal créée en 1853 et abandonnée en 1938. Les sept fours, la cheminée, la forge, le bureau du directeur, le quai d’expédition, la salle de la machine à vapeur, la locomotive posée sur une voie ferrée, on a comme l'impression que tout s'est arrêté il y a seulement quelques jours et que les ouvriers vont revenir demain.
Un projet de résidence-création est né. Il va mêler étroitement les dimensions artistique et pédagogique en associant une résidence de huit jours avec des musiciens au sein du site de l'usine et un travail de collectage et d'écriture sur la mémoire du lieu avec une classe du collège voisin. Un concert-spectacle sera présenté au public dans le cadre de la seconde édition du festival Arts in Situ en juillet 2019. Il tournera ensuite dans les salles des communes environnantes, Le Pôle Sud et Le Grand Logis. Un album devrait aussi être enregistré.
Je me propose d'accompagner François Audrain en suivant les étapes majeures de cette aventure créative originale qui va s'étaler de mars à juillet 2019. Nos chemins se croisent depuis déjà quelques temps dans la géographie rennaise. J'apprécie son grain de voix si particulier, la qualité de son écriture, son placement des mots sur de belles mélodies rock, parfois sombres, parfois lumineuses. Je connais aussi le prof du collège Zola, sa passion pour l'Histoire, les ombres et les fantômes du passé, que nous partageons tous les deux.
Nous cherchions l'occasion de faire quelque chose ensemble. Je ne voulais pas que cela se résume en la figure imposée et convenue du musicien interviewé dans son studio, prof le jour, chanteur la nuit. Cette nouvelle création qui va démarrer est une belle opportunité. J'aime filmer les créateurs à l'oeuvre, en action, dans l'intimité des doutes et des trouvailles. J'aime aussi observer les échanges, les liens qui se tissent. Les deux facettes du projet Arts in Situ, la création musicale et la recherche historique menée avec les élèves, permettront de dessiner un portrait vivant de François Audrain et de révéler sa faculté d'inventer à chaque fois de nouveaux univers musicaux ancrés dans des territoires, dans la mémoire des lieux et dans des parcours riches en rencontres.
Il y aura aussi la beauté du lieu. Cette usine fermée depuis 80 ans qui s'ouvre pour accueillir un créateur hybride, à la fois artiste et passeur. Nul doute que l'alchimie qui naîtra de cette rencontre sera riche en images et en émotions. On imagine la musique et des paroles habiter les lieux, leur redonner vie.
François Audrain
François Audrain
Discrètement mais sûrement, le rennais François Audrain s'est fait une place à part dans la chanson pop électro française. Repéré il y a 15 ans par le label Tôt Ou Tard (Vincent Delerm, Yaël Naïm, Lhassa...), il y a signé 3 albums. À la fois artiste et professeur d'histoire-géographie, il mène depuis 10 ans ses deux activités de manière transversale, tissant des liens entre les deux univers, artistique et pédagogique. Quand mes premiers albums sont sortis dans les années 2000, je fonctionnais de manière indépendante. Aujourd’hui mes deux vies professionnelles se nourrissent. J’adore mon boulot de prof. L’histoire et l’écriture sont toutes les deux un voyage dans le temps et l’espace.
Son quatrième album Accueil Transit, sorti l'été 2018 est la parfaite illustration de cette complémentarité revendiquée. Il a été enregistré durant quatre années à travers différentes villes du monde (Ho Chi Minh Ville, Pékin, Montréal, Édimbourg, Istanbul...) au cours du projet Les retours de l'école durant lequel le musicien a collecté des témoignages d'écoliers lors d'ateliers-concerts organisés avec L'Institut Français et Les Tombées de la Nuit.
Jusqu'au premier mot
Jusqu'au premier mot
de Pascal Millet
aux éditions Locus Solus
extrait lu par Philippe Languille, à retrouver sur la page Lecture publique de KuB
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