Confinés volontaires
Imaginez un ado qui se met en retrait du monde, reclus volontaire dans sa chambre, sans illusions sur ce qui pourrait être sa vie avec les autres. Ce profil, masculin à 80%, s’est multiplié dans les années 2000 au Japon et porte un nom : hikikomori.
Le documentaire Hikikomori, écouter le silence de Dorothée Lorang et David Beautru nous permet de nous approcher de ces jeunes plongés dans une sorte de torpeur mélancolique, une désertion par apathie qui, au-delà de six mois, est irréversible sans aide extérieure. C’est donc dans un centre de soins pour hikikomoris que le duo de réalisateurs a posé sa caméra, pour saisir ces jeunes sur le chemin du retour à la réalité.
À travers le témoignage de ces personnes en difficulté, se dessine un visage du Japon contemporain, pris dans une vertigineuse bascule entre une culture séculaire et un présent qui, dans les villes, frise la science-fiction. Le Japonais du 21e siècle se doit de reconsidérer sa relation au travail, loin du culte de la réussite professionnelle qui dominait au siècle passé.
HIKIKOMORI, À L'ÉCOUTE DU SILENCE
HIKIKOMORI, À L'ÉCOUTE DU SILENCE
de Dorothée Lorang et David Beautru (2013 - 50’)
Ils seraient près d'un million au Japon, reclus dans leur chambre, coupés de toute vie sociale, parfois depuis plusieurs années. Ces hikikomoris sont caractéristiques de ce que la société japonaise désigne comme une génération perdue. Le film va à leur rencontre au sein d'un centre de resocialisation qui leur est dédié.
>>> un film produit par Aurélie Angebault et Jean-François Le Corre, Vivement lundi !
Génération perdue
Génération perdue
par Dorothée Lorang et David Beautru
Le comportement des hikikomoris, bien plus qu’une dépression ou qu’un manque de volonté, est l’expression de la souffrance d’une jeunesse en désaccord avec la société dans laquelle elle vit. L’invention d’un terme spécifique témoigne de la prise de conscience par la société japonaise de l’existence de ces phénomènes nouveaux. N’étant pas encore considérée comme préoccupante dans d’autres pays, la jeunesse hikikomori lance un appel au changement.
Les troubles psychiques se manifestent sous de nombreuses formes au Japon, notamment par l’exclusion sociale volontaire ou involontaire. Ceux qu’au Japon on appelle la génération perdue aspirent à un présent bien différent. Nous nous intéressons à cette jeunesse car elle fait écho à celle dont nous faisons partie.
Les jeunes que nous avons rencontré au Japon sont très différents de nous dans leur mode de vie et dans leurs traditions, mais aussi tellement semblables dans leurs ressentis sur l’avenir du monde. Cette envie de connaître la génération qui porte le poids d’une société en crise est la base de nos recherches et le moteur de notre film.
En 2009, nous sommes partis à la rencontre de quatre japonais qui ont fondé le groupe folk Marikov. Au rythme de leurs chansons et de leurs quotidiens respectifs, nous avons cherché à dévoiler un Japon ressenti de l’intérieur. Le documentaire City Lights que nous avons réalisé nous a permis d’aborder les choix auxquels la jeunesse japonaise se confronte à la sortie des études. Mariko est l’un des personnages auxquels nous nous sommes attachés. Âgée de 28 ans, batteuse du groupe, elle est en dépression depuis le mois de mai. Après avoir travaillé quatre ans au service de la même entreprise, elle nous raconte que son activité est devenue trop difficile et qu’elle ne réussit plus à sortir de chez elle. Elle voit un psychiatre pour soigner son mal et pourrait faire partie de ceux qu’on appelle les hikikomoris. Ce mot japonais qui ne trouve pas d’équivalent dans une autre langue, désigne les jeunes confinés et reclus dans leur chambre. Il fait partie des nombreux phénomènes que cette société cherche à dissimuler. Nos échanges avec Mariko nous ont poussés à aller à la rencontre de la jeunesse hikikomori qui exprime à travers l’exclusion sociale une volonté de changement.
Qui sont ces jeunes qui se retirent volontairement de la société et par là-même de leur vie ? Quelles raisons les ont poussés à rejeter tout ce qui les entourait, et continuent à pousser des jeunes à s’enfermer dans leur chambre pour des années ?
Les hikikomoris sont apparus dans les années 90 et touchent aujourd’hui près d’un million de jeunes au Japon. Le chiffre est approximatif car pour les familles c’est un déshonneur de devoir assumer cette crise existentielle sous son toit. Il est alors difficile d’établir des statistiques. On recense le phénomène dans plusieurs pays d’Europe dont la France, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie, mais également aux États-Unis ainsi que dans différents pays d’Asie. Le mal-être face à la société est également la principale cause du retrait social dans ces pays qui ne cherchent pas encore de solutions pour les aider.
Nous poussons aujourd’hui nos recherches et notre envie de connaître la jeune génération au Japon en nous immergeant dans un centre de réhabilitation pour des jeunes ayant fait le choix de retrouver le goût des choses réelles et de se resocialiser dans une vie en communauté. Ce centre est aujourd’hui le seul au monde à prendre en considération le phénomène et à offrir un nouveau départ à ces jeunes en perdition.
Nous avons voulu à travers ce film être au plus proche des ressentis de cette génération en détresse et percevoir à travers elle les valeurs vitales dont chaque être a besoin. La société japonaise ne répond plus aujourd’hui aux attentes des jeunes et certains ont perdu toutes les valeurs et les notions d’une vie sociale. Ils ont tout à réapprendre et c’est dans l’expérience humaine que propose le centre d’accueil qu’ils retrouvent les éléments indispensables à la vie, comme savoir cuisiner pour se nourrir, savoir s’habiller correctement, apprendre les bases du respect et de la solidarité. C’est là que nous assistons à une renaissance sociale de personnes ayant besoin les unes des autres pour se projeter dans l’avenir.
Dorothée Lorang
Dorothée Lorang
Dorothée Lorang est diplômée des Beaux-arts de Nantes. Elle y mène une réflexion sur le travail d’écriture liée étroitement à une recherche autour de l’image-mouvement. Elle questionne à travers cette recherche cinématographique la relation à l’autre, l’enfermement, le rapport entre le réel et la fiction.
Pendant son cursus aux Beaux-arts, Dorothée Lorang participe au projet de résidence Hashiru Kanazawa au Japon. Elle expose alors dans différents lieux culturels français et japonais. Cette expérience l’amène à réaliser avec David Beautru City Lights, leur premier documentaire en autoproduction, sur la jeune génération au Japon.
En 2020, elle réalise avec David Beautru Axel au pays des malades imaginaires, un documentaire sur la maladie de Lyme dont souffre leur fils.
David Beautru
David Beautru
Diplômé des Beaux-arts de Nantes et d’un BTS communication, David Beautru exploite l’image et le cinéma comme médium d’expérimentation. Sa démarche explore le corps ainsi que sa condition dans le temps et l’espace. Depuis 2008, il travaille comme monteur pour l’artiste nantais Pierrick Sorin et comme réalisateur sur différents projets produits par Machinemachine Films. Il travaille en collaboration avec la réalisatrice Dorothée Lorang sur des documentaires, des courts métrages et des vidéos en live. Entre documentaire et fiction expérimentale, ils cherchent au Japon des éléments de réponse sur la société contemporaine.
En 2020, il réalise avec Dorothée Lorang Axel au pays des malades imaginaires, un documentaire sur la maladie de Lyme dont souffre leur fils.
Les hikikomoris, rencontre
Les hikikomoris, rencontre
FRANCE CULTURE >>> À la rencontre d’un de ces jeunes pour comprendre comment, aujourd’hui, la paresse est l’outil le plus adapté pour exprimer son refus du monde et de ses injonctions.
NATIONAL GEOGRAPHIC >>> La photographe Maika Elan explore le monde secret des hikikomoris.
17 janvier 2021 15:31 - FB
La France devrait enfin reconnaître ce phénomène sur son territoire et s'inspirer de ce qui est fait au Japon. En France la seule réponse du corps médical c'est la dépression
23 novembre 2020 11:40 - Rousselot Gentiane
Bonjour Dorothée et David, j'ai eu la chance de voir votre documentaire "Axel au pays des malades imaginaires" et je vous remercie pour cette belle vidéo d'une grande intelligence, très créative et drôle... même si j'ai beaucoup pleuré. Votre documentaire m'a vraiment touché très profondément... moi aussi je vis cet enfer depuis bientôt 10 ans ...
Merci ! Gentiane
11 novembre 2020 12:50 - kollo
magnifique reportage tout en subtilité