La fille de Brest

jeu de mains - La fille de Brest

Revoir aujourd’hui La fille de Brest, six ans après sa sortie, c’est comme une bonne piqûre de rappel sur les brûlantes questions de santé publique. L’on y voit une pneumologue, Irène Frachon, se battre pour alerter les autorités sanitaires sur les effets indésirables d’un médicament, qui ont déjà provoqué la mort de centaines de patients.

Le film montre comment le laboratoire sait y faire pour fatiguer, intimider, ridiculiser la partie adverse, ceux qui, dans le corps médical font passer l’intérêt de leurs patients avant leur carrière.

Nous connaissons aujourd’hui la fin de l’histoire, plutôt heureuse, obtenue grâce à cette femme et à ses complices, majoritairement féminines. Mais le combat continue, face à des laboratoires devenus des mastodontes avec la récente crise sanitaire ; au point d’être plus puissants que les États ?

BANDE-ANNONCE

LA FILLE DE BREST (2016)

Dans son hôpital de Brest, une pneumologue découvre un lien direct entre des morts suspectes et la prise d’un médicament commercialisé depuis 30 ans : le Mediator. De l’isolement des débuts à l’explosion médiatique de l’affaire, l’histoire inspirée de la vie d’Irène Frachon est une bataille de David contre Goliath pour voir enfin triompher la vérité.

L’HISTOIRE DE LA FILLE DE BREST

chirurgienne fille de Brest

par Emmanuelle Bercot, réalisatrice

entretien extrait du dossier de presse

J’avais entendu parler de l’affaire du Mediator comme tout le monde, mais sans y prêter attention. Je me souviens avoir été frappée par une déclaration du député Gérard Bapt à la radio, mais ce sont les productrices de Haut et Court, Caroline Benjo et Carole Scotta, qui se sont intéressées au livre d’Irène Frachon. Je l’ai lu, j’ai déjeuné avec elle… C’était en 2010. J’ai tout de suite compris que cette femme haute en couleurs pouvait être un extraordinaire personnage de fiction. Racontée par elle, avec toute sa passion et son émotivité, l’affaire prenait un tout autre relief. Ce n’était plus l’histoire du Mediator, mais le combat de cette femme hors du commun.


Interview d'Emmanuelle Bercot


Comment Irène Frachon vous est-elle apparue lors de cette première rencontre ?

Très naturelle, spontanée, pas du tout calculatrice. Une personne ordinaire à qui est arrivée une histoire extraordinaire, dotée d’une énergie incroyable, d’une grande joie de vivre et une espèce de rouleau compresseur. Irène rit beaucoup, même quand elle raconte des choses graves. Très émotive, elle passe assez vite du rire aux larmes. Son langage est assez fleuri, donnant l’impression de quelqu’un qui met sans arrêt les pieds dans le plat et se fiche des conventions. Avançant sans cesse, quoi qu’il en coûte.

Comment avez-vous travaillé avec Irène Frachon ?

Quand je me suis engagée dans ce projet, j’avais deux autres films à faire : Elle s’en va et La tête haute. Dans un premier temps, je n’ai pas voulu écrire le scénario. Non seulement, je n’avais pas le temps, mais en plus je ne me sentais pas les épaules pour appréhender une histoire aussi complexe. L’écriture a donc été confiée à Séverine Bosschem. Très vite, nous sommes parties pour Brest. Durant notre séjour, nous avons beaucoup côtoyé Irène, chez elle et à l’hôpital. Nous avons rencontré tous les protagonistes brestois de l’affaire. Pendant des heures, devant notre dictaphone, Irène nous a raconté toute l’histoire. En gros, un peu moins de la moitié du film est constituée par l’adaptation du livre. L’autre moitié, c’est tout ce que l’on nous a raconté de vive voix, les confidences que les uns et les autres ont bien voulu nous faire.

De retour à Paris, nous avons ensuite rencontré les protagonistes parisiens de l’affaire, en particulier l’épidémiologiste de Gustave Roussy , la taupe de la CNAM, Anne Jouan, Gérard Bapt… Pendant plus d’un an, Séverine Bosschem a travaillé de son côté, compilé les tonnes de documents qu’Irène lui avait confiés et a fini par maîtriser l’aspect technique de l’histoire.

Ensuite, mais cette fois ensemble, nous avons défini les grandes lignes de la narration. Au total, l’écriture du film a duré environ trois ans : j’intervenais à chaque étape de manière à redéfinir la construction, circonscrire le récit, développer les différents personnages.

Enfin, quelques mois avant le tournage, j’ai réécrit le scénario pour me l’approprier. Pendant tout ce temps, Irène a toujours été disponible pour nous conseiller ou nous aider à corriger telle ou telle erreur. Tout comme Antoine, ce chercheur qui a beaucoup aidé Irène durant toute l’affaire, ou encore Anne Jouan, la journaliste du Figaro, ils ont été très vigilants sur l’aspect factuel des choses.

À un moment s’est donc posée la question redoutable de savoir qui allait interpréter le rôle d’Irène Frachon.

Cette question, je me la suis posée immédiatement, avant même d’écrire le scénario. J’étais incapable d’y apporter une réponse. Je ne voyais aucune actrice française susceptible d’interpréter ce rôle. Vous imaginez le souci : pendant environ trois ans, à mesure que j’écrivais le scénario, je ne voyais pas qui allait être Irène Frachon.

La solution, c’est Catherine Deneuve qui l’a trouvée. Un soir qu’on dînait toutes les deux – on venait de finir La Tête haute – elle m’a parlé de l’actrice danoise qui joue dans Borgen. Vous devriez regarder cette série, cette actrice serait formidable pour ce rôle et je crois qu’elle parle français.

Dès le lendemain, je me suis précipitée sur Borgen. Et j’ai aussi trouvé une interview de Sidse Babett Knudsen dans laquelle, effectivement, elle s’exprimait, certes avec un accent, mais dans un relativement bon français. Ensuite, tout est allé très vite. Avec Caroline Benjo, nous sommes parties pour Copenhague. La rencontre s’est très bien passée. Sidse a lu le scénario qui, à l’époque, était encore un work in progress. Et, très vite, elle a accepté. Très franchement, si Catherine Deneuve n’avait pas eu cette idée, je pense que personne n’aurait pensé à Sidse pour ce rôle.

Restait à en informer Irène Frachon, qui était depuis le début très curieuse de savoir qui allait l’incarner. Nouveau déjeuner. Nous étions à vrai dire très inquiètes. N’allait-elle pas trouver ça bizarre, que nous ayons choisi une actrice danoise dont elle n’avait jamais entendu parler ?

C’est tout l’inverse qui s’est produit. À peine avions-nous prononcé le nom de Sidse, qu’elle s’est mise à crier. Elle était… extatique ! Nous ne le savions pas, évidemment, mais toute la famille Frachon est fan de Borgen. Pour Irène, être incarnée par Sidse relevait du rêve absolu.

Irène Frachon, elle ne s’en est jamais cachée, est protestante. C’est même un aspect important, constitutif, de sa personnalité. Or, pour une raison que vous allez nous expliquer, cet aspect n’apparaît pas dans le film…

Vous avez raison, la foi d’Irène Frachon est un paramètre important. Si elle a tenu le choc, c’est d’une part grâce à sa foi, d’autre part grâce à la cellule familiale incroyable qui l’entoure.

Or, la foi d’Irène est totalement absente du film. Et la famille, disons qu’on ne la voit qu’en filigrane. La raison ? Ça n’aurait eu de sens que si ça n’était pas anecdotique et on n’a pas le temps de tout raconter en deux heures ! Et puis, je voulais rendre cette histoire la plus universelle possible et du même coup ne pas trop singulariser Irène. Je précise d’ailleurs qu’elle n’a jamais exprimé le souhait de voir son appartenance religieuse mentionnée. Mais elle a bien voulu prêter sa croix huguenote à Sidse pour qu’elle la porte pendant le tournage.

Vous vous souvenez de la première fois où Irène Frachon et Sidse Babett Knudsen se sont rencontrées ?

Bien sûr, même si je n’ai pas assisté au premier instant de leur rencontre. J’avais fait exprès d’arriver un quart d’heure plus tard. C’était dans un restaurant, près de la production, à Paris. Quand je suis arrivée, je les ai trouvées toutes les deux déjà en grande complicité. L’une et l’autre sont très chaleureuses, dotées d’une énergie exceptionnelle. Sidse était en découverte et en absorption du personnage qu’elle allait jouer.

Vous trouvez qu’elles se ressemblent physiquement toutes les deux ?

Non (rires). J’ai très vite abandonné l’idée de trouver une actrice ressemblante, d’abord parce qu’il n’y en a pas. La ressemblance entre Sidse et Irène réside dans l’énergie qu’elles sont capables toutes les deux de déployer et leurs natures clownesques.

Dans votre vie, aviez-vous déjà eu à faire au milieu médical ?

Beaucoup. Je pense d’ailleurs que c’est une des raisons pour lesquelles Irène Frachon a eu envie de me confier son histoire. Mon père était chirurgien cardiaque à l’hôpital Lariboisière, à Paris. Moi-même, pendant longtemps, j’ai voulu être chirurgien. Mes loisirs préférés du mercredi, du samedi, c’était d’aller voir mon père opérer. Dès l’âge de 10-12 ans, j’ai passé beaucoup de temps dans les blocs opératoires. J’ai fait mon stage de troisième à Lariboisière, dans plusieurs services de chirurgie. J’ai toujours eu une fascination pour le milieu hospitalier. J’aime aller à l’hôpital. Je m’y sens bien. Je pense qu’Irène a été sensible à ça.

Avant de faire la Femis, vous avez donc eu envie de faire des études de médecine ?

Oui. À peu près jusqu’à l’âge de 15 ans. Parfois, mon père me mettait en garde, m’expliquant que c’était un métier très dur pour les femmes. Pour les hommes aussi du reste – je ne le voyais presque jamais. Je me souviens que mon père était très remonté contre les laboratoires pharmaceutiques, leur lobby, leur puissance. C’était un sujet dont on parlait beaucoup à la maison.

Dans le film, il y a deux séquences extraordinaires d’un point de vue médical : une opération à cœur ouvert et une autopsie. Commençons par l’intervention. En fait, vous aviez donc déjà tous vos points de repère ?

Pour cette scène du bloc opératoire, j’étais effectivement en terrain connu. Ce qui ne m’a pas empêché, avant le tournage, de me rafraîchir la mémoire en allant assister à une intervention sur des valves cardiaques.

Pendant le tournage, j’ai retrouvé toutes mes sensations. C’était hyper-excitant pour moi de filmer une opération à cœur ouvert, avec un vrai staff, celui du CHU de Brest, un vrai chirurgien, des vrais anesthésistes, une vraie panseuse…

Seule l’intervention était fausse, mais elle ressemble tellement à une vraie ! Ne serait-ce que pour des questions d’asepsie, je ne pouvais pas prendre le risque, avec les moyens du cinéma, de filmer une vraie intervention. J’aurais pu me servir des installations de caméra que l’on trouve souvent dans les blocs, mais je n’aurais eu que des images vidéo. Comme je voulais absolument pouvoir choisir mes axes, on a très vite opté pour la solution d’un tournage classique, avec trois caméras – on ne pouvait pas refaire plusieurs fois les mêmes actions. Pour ce qui concerne l’intérieur du corps, on a eu recours aux effets spéciaux.

Votre parti-pris, quasi-tactile, était de montrer, presque de toucher les organes, le cœur, en particulier, avec la caméra.

Il était essentiel de voir les ravages organiques, physiques, causés par le Mediator. De manière à ce que le spectateur puisse visualiser et ressentir ce que ce médicament a provoqué dans la chair de certaines personnes. Mais de toute façon, je tends toujours à faire un cinéma le plus incarné possible.

La scène de l’autopsie, maintenant. Là encore, vous avez eu recours aux effets spéciaux…

En effet ! On n’a pas tué l’actrice et j’aurais eu énormément de mal à filmer une véritable autopsie, le corps de quelqu’un à son insu. Avant le film, je n’en avais jamais vu. J’ai donc demandé à en voir une. C’est une expérience, comment dire… métaphysique ! Dans ma vie, il y aura un avant et un après cette autopsie. C’est à la fois vertigineux et insoutenable.

Il n’empêche que vous avez décidé de faire partager cette expérience aux spectateurs…

L’autopsie est dans le scénario depuis le début. Ça a été un moment important pour Irène, une sorte de révélation, un déclic. Après en avoir vu une, j’ai eu envie de faire partager mon expérience aux autres. Même si je sais très bien que certaines personnes voudront se cacher les yeux, je voulais, encore une fois, que le spectateur puisse éprouver physiquement les choses. Et Dieu sait si, au montage, on a édulcoré par rapport à tout ce qui a été filmé !

Avant le tournage, avez-vous regardé des films ou des séries traitant de ce genre d’enquête?

Je regarde peu de séries. En revanche, j’ai regardé beaucoup de films d’enquête. Pour moi, Erin Brockovich est le repère absolu. Dans le genre, c’est un film parfait. J’ai aussi vu ou revu des films comme Les hommes du président, Norma Rae, Le stratège, L’idéaliste, Le verdict…

L’écriture et le découpage de La fille de Brest sont très serrés. Résolument à l’américaine…

J’ai essayé en tout cas de tendre vers cette capacité qu’ont les Américains à raconter ce type d’histoire. La mise en scène tranche sans doute un peu avec celle de mes autres films. J’avais un souci d’efficacité que je n’ai pas habituellement.

Jacques Servier, le tout puissant patron du laboratoire qui porte son nom, n’apparaît pas dans le film. Pour quelle raison ?

Nous nous sommes tenus au point de vue d’Irène Frachon. Elle ne s’est jamais rendue au laboratoire Servier. Elle n’a jamais rencontré Jacques Servier. Alors, évidemment, j’aurais pu tout de même montrer le méchant comme cela se fait souvent dans ce genre de film d’affrontement. J’ai un peu hésité mais finalement s’est imposé le fait qu’on allait raconter l’histoire uniquement du point de vue d’Irène. Et, qu’en conséquence, on ne verrait rien qu’elle n’a pas vu.

De nombreux spectateurs vont donc découvrir, en regardant votre film, la collusion qui peut exister entre certains médecins et certains laboratoires pharmaceutiques. Avant de vous intéresser à cette affaire, même si votre père vous en parlait, vous pensiez que ces pratiques pouvaient prendre de telles proportions ?

Je ne suis pas naïve, je connais la puissance des laboratoires pharmaceutiques. Mais je sais aussi qu’il y a plein de médecins qui travaillent très bien avec des laboratoires, sans conflit d’intérêt, ni corruption. Irène le dit dans le film : Moi aussi, je collabore avec les labos et je suis pour l’innovation thérapeutique ! Cela dit, certains faits m’ont tout de même plus que surprise dans cette affaire. Le fait par exemple qu’Antoine, le chercheur qui a aidé Irène à asseoir son dossier scientifiquement, n’a pas été labellisé par l’Inserm tout simplement parce que des employés de Servier faisaient partie du jury. C’est hallucinant, non ?

Dans le film, il est dit : Il n’y a pas de vrai combat sans peur. La peur, sa peur, est omniprésente. Vous-même, cette peur, vous la ressentez ?

Non, pas du tout. Je ne suis pas quelqu’un de très peureux. Irène, elle, parle beaucoup de la peur qu’elle a ressentie. Il faut dire qu’elle a vécu de très sales moments. Par exemple, lorsqu’elle a été condamnée à retirer Combien de morts ?, le sous-titre de son livre. Quand elle raconte cet épisode, on sent bien qu’elle a touché le fond. C’était difficile à rendre dans le film.

En revanche, même si c’est un film de genre, je ne voulais pas trop m’appesantir sur la parano qui a été la sienne, cette sensation d’avoir le monde entier contre elle, d’avoir plein d’ennemis. D’autant plus qu’elle n’a pas été menacée physiquement, ni elle, ni ses enfants. Il aurait fallu tordre la réalité pour incarner ça à l’écran et j’ai toujours eu en tête de coller à la réalité de cette histoire, sans extrapoler, sans déformer les faits.

Elle a souvent dit que sa peur provenait du fait qu’elle imaginait qu’on pouvait s’en prendre à sa famille, à ses enfants. Cela lui était insupportable au point que si tel avait été le cas, elle aurait été prête à tout abandonner.
Un mot sur son mari… Cet homme aime sa femme inconditionnellement. Et c’est réciproque. Cette famille est incroyable, je n’en ai jamais vu de pareille ! La famille rêvée ! Des gens extrêmement unis qui s’admirent tous les uns les autres. Quand j’ai fait lire le scénario, plusieurs personnes m’ont dit qu’une telle famille n’existe pas ; que ça ne peut pas exister. Or, non seulement ça existe – l’équipe du film peut en témoigner ! – mais c’est grâce à cette cellule familiale extraordinaire qu’Irène a pu tenir. Elle n’était pas seule.

Deux politiques apparaissent dans le film. Gérard Bapt et Aquilino Morelle. Vous les avez rencontrés ?

Gérard Bapt, oui, Aquilino Morelle, non. S’agissant de ce dernier, la teneur de son rapport de l’Igas était tout ce qui nous intéressait. En revanche, Gérard Bapt, qui avait rencontré Irène, pouvait nourrir la fiction. J’ajoute que le ministre de la Santé de l’époque, Xavier Bertrand, pour lequel Irène a beaucoup de sympathie et qui s’est investi dans cette affaire, n’est qu’une silhouette dans le film.

Irène Frachon a dit à plusieurs reprises qu’il faudrait une loi qui punisse ceux qui attaquent les lanceurs d’alerte. Je suppose que vous êtes d’accord ?

Mille fois d’accord. Les lanceurs d’alerte devraient être protégés et on devrait punir ceux qui les attaquent. C’est pourtant l’inverse qui vient de se produire lors d’un procès, au Luxembourg. Les lanceurs d’alerte ont été condamnés. Un tribunal a ainsi pu dire : Vous avez eu raison de révéler ces faits, mais comme c’est interdit, vous êtes condamnés. C’est révoltant !

À votre avis, quel est le moteur du courage d’Irène Frachon ? Son sens aigu de la justice ?

Son pur instinct de médecin. Sa vocation sincère. Elle qui n’a jamais cherché à faire carrière est, de l’avis général, un très bon médecin. Peut-être pas une grande scientifique, mais une excellente praticienne. Avec du flair et du génie dans ses diagnostics.

Si elle a réussi à aller au bout de son combat, c’est avant tout, je crois, du fait de son immense empathie pour les victimes. Et aussi de sa déontologie. Irène Frachon, c’est une Juste. Une pure. Dans sa grande candeur, elle ne voit pas le mal. Elle n’est médecin que pour accompagner et soigner les gens. Elle ne recherche pas le pouvoir et, du même coup, n’a jamais eu peur de se mouiller.

Comment Sidse Babett Knudsen a-t-elle à ce point réussi à endosser ce rôle ?

Avant le tournage, elle n’avait pas beaucoup parlé avec Irène. Elle tournait aux États-Unis ce qui l’a contrainte à n’arriver qu’une semaine avant le tournage. Mon souhait était d’arriver à rendre compte à la fois de l’énergie incroyable et de la fantaisie d’Irène Frachon, qui est ce qu’on appelle un personnage dans la vie. Cet aspect des choses, nous l’avons beaucoup travaillé avec Sidse. La démarche d’Irène, ses attitudes physiques, Sidse et moi avons cherché à les restituer. Ça a pris un peu de temps à Sidse pour se glisser dans la peau de cette femme inépuisable qui peut être aussi épuisante. Son bagout, sa vitalité, sa fantaisie verbale, sa joie de vivre à toute épreuve. On n’a jamais cherché l’imitation stricte, mais elle n’avait sans doute pas eu suffisamment le temps d’observer Irène. Il lui a suffi ensuite d’un après-midi passé dans la famille Frachon pour qu’un déclic se produise. Le travail sur les costumes a également participé au processus d’incarnation. Je tenais par ailleurs à ce que le rythme du film soit soutenu et Sidse a fourni un travail colossal sur le débit et la prononciation des dialogues.

Selon vous, y a-t-il des ressemblances entre Irène Frachon et Birgitte Nyborg, l’héroïne de Borgen ?

Birgitte Nyborg peut être redoutable. Elle fait de la politique, elle a envie de pouvoir. C’est, je crois, la grande différence avec Irène Frachon qui, elle, s’en contre-fiche. Elle cherche à faire triompher la justice, ce qui est très différent. Et ses motivations ne sont pas personnelles. Mais, chez l’une comme chez l’autre, on retrouve un peu le même type d’énergie, même si elle n’est pas déployée pour les mêmes raisons.

Quels ont été vos parti-pris en matière de lumière ?

On avait à filmer pas mal de scènes, en particulier d’intérieur, quasi-impossibles à éclairer, dans des décors peu cinématographiques. Comme en plus on tournait à un rythme effréné, il est arrivé qu’on n’ait pas le temps de faire la lumière stylisée que j’aurais souhaitée. Quand nous avions un peu de temps, on essayait de dramatiser les scènes et les décors par la lumière. Ainsi, par exemple, les scènes dans lesquelles on voit la taupe, le type de la CNAM : l’univers lumineux n’a rien à voir avec celui des bureaux d’une administration.

Avec votre monteur, vous avez cherché à découper le film, ce qui lui donne beaucoup de rythme.

Le film était déjà très découpé dans sa conception au tournage et c’était une volonté de départ. En effet, il y a énormément de plans et d’axes. C’est la première fois que je me frottais au film de genre. Je voulais que l’histoire avance, que le rythme de l’enquête nous emporte.

Après La tête haute, vous retrouvez Benoît Magimel

C’est un peu mon acteur fétiche ! Je voulais qu’il incarne Antoine, la main forte d’Irène, celui qui lui a apporté les compétences scientifiques qu’elle n’avait pas. Je savais qu’il pouvait avoir la bonhommie, la douceur, l’humanité, la trace d’enfance de ce personnage d’Antoine.

Irène a eu aussi beaucoup de chance, dans la qualité des gens qu’elle a rencontré sur son chemin tout au long de cette histoire. Elle a été chef de guerre mais elle a eu de magnifiques soldats à ses côtés. Le film c’est aussi ça, une histoire d’équipe. Comme le dit un dialogue du film : sans eux elle n’aurait rien fait. Mais eux n’auraient pas fait ce qu’elle a fait.

Vous vous considérez comme une cinéaste engagée ?

Non, pas si engagée, pas si militante que ça, honnêtement. J’ai mes opinions, mes idées et mes révoltes, mais elles sont peu suivies d’action. Il n’y a que derrière la caméra que je m’engage vraiment. Et si je fais le portrait d’une femme engagée, ça ne dit pas que je le suis moi-même. Mais tant mieux si mes films me permettent de m’investir et de m’exprimer un peu plus que je ne le fais en tant que citoyenne.

Des centaines de morts auraient pu être évitées si les laboratoires Servier et les autorités sanitaires avaient fait correctement leur travail de pharmacovigilance. Dès lors, comment qualifier l’attitude de la justice dans cette affaire ? Lente, trop lente ? Clémente, trop clémente ?

C’est un fait : pour l’instant, le procès au pénal est sans cesse repoussé. Espérons qu’il se passe enfin quelque chose. Les victimes, elles aussi, ont droit à la justice.

Irène Frachon cite parfois cette phrase d’Albert Einstein : Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.

C’est profondément ce que je pense. Nous sommes peu à pouvoir nous identifier à Irène Frachon. En revanche, nous sommes nombreux à pouvoir nous identifier à ceux qui regardent, sans rien faire, les autres régler les problèmes.

BIOGRAPHIE

IRÈNE FRACHON

Née en 1963, Irène Frachon, médecin pneumologue, exerce au CHU de Brest à partir de 1996. À partir de 2007 elle est alertée par des cas d’atteintes cardiaques.
Son livre et son combat dans la presse :

Le remède dangereux :

Paul Benkimoun, Le Monde >>> Irène Frachon relate le chemin semé d’embûches qu’elle a dû parcourir pour obtenir, en novembre 2009, le retrait d’un médicament : le Mediator.

Combien de morts imputer au Mediator ?

Paul Benkimoun et Mathilde Damgé, Le Monde >>> La perspective d’un procès des responsables de la commercialisation du médicament semble s’éloigner tandis que l’ambiance autour du chiffrage des responsabilités est au révisionnisme.

Anne Grignon, l’Obs >>> Irène Frachon et les trente mousquetaires contre la propagande de Servier : Michel Serres, Didier Sicard et Axel Kahn font partie des signataires de l’appel d’Irène Frachon. La pneumologue à l’origine de l’affaire du Mediator rappelle au corps médical le comportement inacceptable de Servier, resté leur interlocuteur comme si de rien n’était.

BIOGRAPHIE

EMMANUELLE BERCOT

réalisatrice fille de Brest Emmanuelle Bercot

Le baccalauréat en poche, Emmanuelle Bercot intègre l’École de danse Serge Alzetta, puis l’École du spectacle où elle découvre avec émerveillement le théâtre. Élève au cours Florent, elle travaille bientôt sous la direction de Robert Hossein et Jean-Luc Tardieu. Après avoir raté le concours d’entrée au Conservatoire, elle est admise, alors qu’elle n’a pas encore de culture cinéphile, au concours de la Femis.

Dans ce cadre, elle tourne le documentaire True Romanès (1995), puis le court métrage Les vacances, prix du Jury à Cannes en 1997. Son film de fin d’études est un moyen métrage, La puce (1999), récit du dépucelage d’une adolescente par un homme mûr. Ces deux derniers films, très remarqués, révèlent Isild Le Besco, actrice fétiche de la cinéaste, avec qui elle présente une certaine ressemblance physique.

Menant, en pointillé, une carrière d’actrice (elle incarne la monitrice dans La classe de neige de Claude Miller en 1997), Emmanuelle Bercot s’attribue le rôle principal de son premier long métrage, Clément, celui d’une trentenaire transie d’amour pour un garçon de 13 ans. Cette œuvre à la fois pudique et dérangeante est présentée à Cannes en 2001 dans la section Un certain regard.


Intentions de la cinéaste

L’intérêt, pour moi, n’est jamais tant dans le fait de raconter des histoires que dans la volonté de décrire des états, d’exacerber des perceptions, déclare la cinéaste au moment de la sortie de son deuxième long métrage, Backstage, en 2005 à la Mostra de Venise et dans lequel elle continue d’explorer le mal-être adolescent, à travers la relation trouble qui unit une vedette de la chanson (Emmanuelle Seigner) à une jeune fan envahissante (Isild Le Besco).

Au Festival international du film de Thessalonique 2005, elle remporte le prix de la meilleure réalisatrice.

Lors du 68e festival de Cannes, elle présente en ouverture son film comme réalisatrice La tête haute et reçoit comme comédienne le Prix d’interprétation féminine pour son rôle dans Mon roi, ex-æquo avec l’Américaine Rooney Mara pour Carol.

Emmanuelle Bercot sur Culture box (à partir de 1’27) : La fille de Brest, c’est le thriller du Mediator !

Filmographie, nominations et récompenses

FILMOGRAPHIE

True Romanès (court métrage, 1995), Les vacances (court métrage, 1997), La puce (court métrage, 1998), Le choix d’Élodie (TV, 1998), La faute au vent (LM, 2000), Clément (LM, 2001), Quelqu’un vous aime…(LM, 2003), À poil ! (LM, 2004), Backstage (LM, 2004), Tirez sur le caviste, collection Suite noire (TV, 2009), Mes chères études (TV, 2009), Les infidèles – segment La question (LM, 2012), Elle s’en va (LM, 2013), La tête haute (LM, 2015), La fille de Brest (LM, 2016)

NOMINATIONS

César 2012 : César du meilleur scénario original pour Polisse

Prix Lumières 2016 : Prix Lumières de la meilleure actrice pour Mon roi

César 2016 : César de la meilleure actrice pour Mon roi

César 2016 : César du meilleur réalisateur pour La tête haute

César 2016 : César du meilleur film pour La tête haute

César 2016 : César du meilleur scénario original pour La tête haute

Récompenses

Prix de l’Âge d’or 2003 pour Clément

Festival international du film de Thessalonique 2005 : Meilleure réalisatrice pour Backstage

Festival de Cannes 2015 : Prix d’interprétation féminine pour Mon roi

REVUE DU WEB

CONTRE VENTS ET MARÉES

bain de foule fille de Brest

Frédéric Strauss, Télérama >>> Une femme nage seule, au milieu d’un océan qui menace de la submerger… La première image de La fille de Brest résume ce qui va suivre : une odyssée essentiellement solitaire, contre vents et marées.

La fille de Brest, journal d’humanité
Steven Le Roy, le Télégramme >>> Un film attendu au-delà des frontières brestoises de Recouvrance, en qualité de témoignage fidèle et poignant en faveur du combat du docteur Irène Frachon contre le Mediator.

La fille de Brest, le Mediator à travers les yeux du docteur Frachon
Pascale Krémer, Le Monde >>> Ce baiser, envoyé (lors de l’avant-première ndlr) par le docteur Irène Frachon à l’actrice Sidse Babett Knudsen, disait à lui seul la belle complicité tissée avec le monde du cinéma, qui lui rend hommage.
La pneumologue, grâce à laquelle la dangerosité du Mediator a été mise en évidence, a partagé la scène avec son incarnation sur grand écran, la comédienne danoise révélée par la série Borgen. C’était au Gaumont-Opéra, lors de l’avant-première de La fille de Brest, de la réalisatrice Emmanuelle Bercot – également présente.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    Casting
    Sidse Babett Knudsen Irène Frachon
    Benoît Magimel Antoine le Bihan
    Charlotte laemmel Patoche
    Isabelle de Hertogh Corinne Zacharria
    Lara Neumann Anne Jouan
    Philippe Uchan Aubert
    Patrick Ligardes Bruno Frachon
    Olivier Pasquier Arsene Weber
    Gustave Kervern Kermarec
    Pablo Pauly Charles Joseph-Oudin
    Myriam Azencot Catherine Haynes
    Eddie Chignara Christophe Laugier
    Raphael Ferret Fred le Biostat
    Christophe Meynet David l’assistant de recherche
    Gilles Treton Yannick Jobic
    Garance Mazureck Flore Michelet

    réalisation Emmanuelle BERCOT
    scénario, adaptation, dialogues Séverine BOSSCHEM et Emmanuelle BERCOT
    d’après le livre MEDIATOR 150 Mg d’Irène FRACHON, publié en France aux Éditions Dialogues
    collaboration au scénario Romain COMPINGT
    producteurs Caroline BENJO, Carole SCOTTA, Barbara LETELLIER, Simon ARNAL
    montage Julien LELOUP
    image Guillaume SCHIFFMAN AFC
    son Pierre ANDRÉ, Jérôme CHENEVOY, Séverin FAVRIAU, Stéphane THIEBAUT
    musique originale Martin WHEELER, Bloum
    effets spéciaux Pierre-Olivier PERSIN dit POP
    décors Eric BARBOZA
    costumes Pascaline CHAVANE
    casting Antoinette BOULAT ARDA, Sonia LARUE
    direction de production Philippe DELEST
    régie Karine PETITE
    scripte Isabel RIBIS
    1er assistant mise en scène Léonard VINDRY

    production HAUT ET COURT
    en coproduction avec FRANCE 2 CINÉMA, avec la participation de CANAL +, CINE +, FRANCE TÉLÉVISIONS, HAUT ET COURT DISTRIBUTION, FRANCETV DISTRIBUTION et WILD BUNCH
    en association avec COFINOVA 12, SOFICINEMA 12, SOFITVCINE 3, CINEMAGE 10 et PALATINE ETOILE 13,
    avec le soutien du CONSEIL RÉGIONAL DE BRETAGNE, du BREIZH FILM FUND et de PARIS BREST PRODUCTIONS,
    développé avec le soutien de COFINOVA DEVELOPPEMENT, du CENTRE NATIONAL DU CINEMA ET DE L’IMAGE ANIMEE et de la PROCIREP.
    © 2016 Haut et Court – France 2 Cinéma

    Artistes cités sur cette page

    Emmanuelle Bercot

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