Catastrophe humaine
Film d'animation qui mêle différentes techniques (aquarelle, marionnette...), L'oeil et la terre nous plonge dans une apocalypse et revient aux origines de l'humanité tels qu'ils sont racontés dans la Genèse : Adam et Ève au jardin d’Éden, sauf qu'une éruption volcanique a transformé le paradis en enfer.
Les scénaristes Louis Tardivier et Emmanuel Briand profitent de l'opportunité qu'ils se donnent pour montrer que même dans cette extrémité-là l'homme se considère toujours comme l'élu, obsédé par sa volonté de domination des éléments par l'invocation de puissances célestes.
Un film impressionnant dans la forme et cinglant sur le fond, le spectateur n'étant pas invité à compatir avec ces survivants dérisoires.
L'OEIL ET LA TERRE
L'OEIL ET LA TERRE
de Louis Tardivier (2019 - 18')
Un nouvel âge est venu. Celui du dépérissement. Les humains ont perdu toute grâce, leur environnement est devenu aride, la vie s’y est éteinte. Cette histoire parle d’une apocalypse. Si le thème est dramatique, le ton est satirique. Dans une situation absurde, sont mis en scène deux philosophes du dimanche, attachants, des héros beckettiens plus que des survivants pragmatiques de The Road.
>>> un film produit par Stank
Magie, vie et chaos
Magie, vie et chaos
par Louis Tardivier
J'avais depuis longtemps envie de filmer des marionnettes manipulées en temps réel. Après avoir travaillé plusieurs années en stop motion, image après image, et avoir passé trop d’heures devant des feuilles de papier ou des tablettes graphiques, il fallait que ça change. J’ai décidé de faire ce film en extérieur, en équipe, et en live action. La marionnette s’est imposée car c’est un penchant plus direct, plus brut, de l’expression corporelle. La marionnette est un comédien surprenant. On aura beau rechercher le mouvement parfait, l'aléatoire s’y immiscera plus que dans toute autre technique. C’est aussi mon premier amour, c’est le temps des retrouvailles.
L’animation n’est que copie de la réalité si elle n’est pas accompagnée de l’intention singulière qu’on donne au sujet. Cette singularité est en partie naturelle chez la marionnette manipulée, puisqu’elle est un prolongement maladroit du corps du manipulateur. La marionnette me fascine car elle se soustrait à un contrôle total, même si c’est l’homme qui lui a donné la matière et la vie. Malgré toute velléité de maîtrise, elle semble toujours se dérober à son destin. Elle porte en elle magie, vie et chaos, trois thèmes qui font écho à l’histoire de L’oeil et la terre.
Le déclin d’une civilisation
L'histoire se passe sur une île, en vase clos. On ne dit pas s'il existe un ailleurs. La mer s'étend à perte de vue. Les personnages sont seuls au monde. Derniers vestiges d’une civilisation disparue sous une éruption volcanique. Si c'est cette éruption qui a parachevé la disparition de la civilisation, on comprend qu’elle courrait à sa perte, qu'elle avait exploité jusqu'à la moelle ses ressources.
Enfermés à l’écart de la société, nos deux survivants ont ironiquement échappé à une mort certaine et globale. Ce point de départ s’inspire de l’histoire du prisonnier martiniquais Louis-Aguste Cyparis, miraculeusement rescapé de l’éruption de la montagne Pelée en 1902 car protégé par son cachot. Cette métaphore de l’enfermement se renforce quand ils découvrent que leur liberté ne fut que de courte durée puisqu’ils se trouvent à présent prisonniers de cette île-tombeau qui n’a plus rien à leur offrir. Ils ne peuvent que constater l'ampleur du désastre et discourir à ce propos tout en cherchant à fuir.
Conditionnés par ce comportement, ils continuent pourtant dans la même veine que leurs pairs ; face aux derniers vestiges d’arbres, ils ne s’émeuvent pas plus et reproduisent le même geste destructeur. Pour autant, ils développent une pensée et questionnent cette situation.
Un dialogue en ping-pong existentiel
Un discours se construit entre l'homme et la femme autour de sujets philosophiques et prosaïques. Ce ping pong existentiel nourrit nos personnages et le sens du film. Chacun empruntant deux chemins différents. Pour se sauver, la femme va tenir la corde du rationalisme tandis que l’homme va décider partiellement d'orchestrer un retour vers le religieux et le mystique. Le film interroge ainsi notre rapport au choix, à la destinée et au hasard, à l’irrémédiable gratuité du réel dont l’absurde plaide en faveur de l’inexistence d’un Dieu. L’apparence des personnages, un visage/masque épuré aux formes géométriques et un corps humanoïde réaliste, exprime la dualité entre corps et esprit. Cette dialectique âme/corps s'ajoute au discours qui s’établit entre l’homme et la femme.
À l’inverse de films apocalyptiques qui mettent en scène une humanité aux réactions pragmatiques ou héroïques face à un sort cruel, les personnages sont déjà passés dans le camp de l’analyse, sans nostalgie ni colère. Il y a de la tendresse, de la complicité dans le discours mais peu d'émotion. Tout est phagocyté par le mécanisme de la pensée. Dans son aspect à la fois grinçant et bucolique, le film nous amène dans un univers où rien n’est permis pour l’homme.
Le prisme de la marionnette nous permet d’élargir le champ des possibles, d’atteindre un récit dialectique, universel, un conte beckettien où le foireux côtoie sans relâche la gymnastique de la pensée et de la joute verbale existentielle. Le film rend compte de la puissance des éléments, de l’incompatibilité de l’appétit de l’homme face à la nature et de la vacuité de bons nombres de ses réflexions démiurgiques.
J’aime l’idée que l’homme puisse changer en un claquement de doigt, que ce soit par une révélation extérieure, ou par une prise en main de son propre destin. Les personnages, persuadés de leur salut, avancent inéluctablement vers un avenir incertain. Survivre plus intelligemment ou mourir avec lucidité.
Louis Tardivier
Louis Tardivier
Né en 1985, Louis Tardivier est diplômé de l’école des Gobelins. Il réalise son premier court métrage d’animation Après la pluie en fin d’études . Il participe à la fabrication de films en tant que scénariste, designer, animateur ou producteur. Il co-réalise, avec Emmanuel Briand, cinéaste, et Antoine Tardivier, plasticien, Daniel une vie en bouteille, un court en stop-motion. Il est ensuite colorscript artist au Studio Soi de Berlin pour la série The Gruffalo, puis voyage entre la Réunion et la métropole pour développer le long métrage Adama de Simon Rouby.
Début 2022, il travaille à l’écriture et au storyboard d’un nouveau court, Trois ptérosaures, triptyque narratif et stylistique en animation 2D-3D et sculpture, développe avec Emmanuel Briand un long-métrage 2D-3D, Estela et le chêne millénaire et rejoint Simon Rouby sur son nouveau projet de long métrage Pangea. Entre animation traditionnelle, photogramétrie, stop-motion ou marionnette, il explore et développe des techniques originales afin d'adapter le développement visuel au storytelling.
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