Dans la nasse
-
SOMMAIREÀ voir jusqu'au
09/01/2025
Mab an Tarz nous embarque en terrain cinématographiquement connu : un chalutier en campagne de pêche. Or d’emblée l’on est frappé par la force de l’image – cadre et lumière – qui parvient à mettre en alerte les sens du spectateur. Une image qui nourrit intensément le drame intérieur de Thomas, héros à la dérive, shooté pour tenter d’échapper à sa peine, en vain.
Ajouter à cela des comédiens qui campent leurs rudes personnages sans plastronner, un montage qui sait jouer sur différents registres de temporalité et l’on obtient à l’arrivée un court métrage de haut-vol. Théo Jourdain s’y affirme en réalisateur en devenir, et le dispositif Estran en fertile accompagnateur de talents.
MAB AN TARZ, FILS DE L’ÉCUME
MAB AN TARZ, FILS DE L’ÉCUME
de Théo Jourdain (2021 - 15’)
Marin pêcheur au Guilvinec, Thomas est tombé dans toutes les addictions possibles. Épuisé et détruit par la perte de la garde de son enfant, il décide de se seuvrer en mer et de repartir à zéro. Mais, une fois au large, la pêche ne se passe pas comme prévu.
>>> un film produit par Stéphen Seznec de Nationale 12
Un cercle infernal
Un cercle infernal
par Théo Jourdain
Marin pêcheur est pour moi l’un des métiers les plus difficiles de notre époque, depuis la disparition en France des mineurs de fond. Les conditions de travail sont très dures sur les chalutiers. Pendant plusieurs jours, les pêcheurs ne dorment pas plus de deux heures d'affilée, remontent les chaluts, trient, rangent, ramendent les filets, dans des conditions parfois extrêmes. En plus de ne pas voir leurs proches et leur famille durant de longues périodes, ils ont du mal à se réadapter à la vie normale à terre. C’est pourquoi, lorsqu’ils reviennent de pêche, les marins s’empressent de redescendre à coups d’alcool et d’autres substances, un cercle vicieux dans lequel certains sont pris au piège, comme Thomas. Étant Breton et fils de marin, j’ai toujours été impressionné par les vieux de la vieille avec leur langage imagé et leur accent à couper au couteau. Ce sont de véritables forces de la nature qui dégagent un magnétisme extraordinaire. Ils évoluent dans un mélange d’entraide et d’autodestruction propre à ce milieu. Cela m’a toujours effrayé et impressionné à la fois, et c’est ce que je voulais montrer avec l’équipage du Mab an Tarz.
Thomas a une vraie relation amour/haine avec la mer. L’océan est devenu malgré lui son élément premier et le chalutier son écosystème. C’est son gagne-pain, et c’est aussi là où il s’enfuit quand les problèmes terriens se font ressentir. De plus, Thomas représente bien cette catégorie de personnes qui prennent de la drogue dans le milieu de la pêche. J’ai moi-même souvent côtoyé des drogués, de différents milieux, de Bretagne et d’ailleurs. Et ce qui m’a toujours surpris, c’est l’indifférence des gens à leur égard. Tout le monde ferme les yeux sur leurs états dégradés... Tout va bien ouais, nickel. C’est une des raisons pour laquelle j’ai eu envie de faire ce film, pour ces camés bretons dont on parle mais à qui on ne s’adresse jamais directement. Thomas semble avoir tout perdu à terre : la garde de sa fille, sa copine et la plupart de ses amis. Thomas c’est un peu mon cousin, mais c’est aussi une part de moi. Je connais les symptômes de manque et le blocage que peut provoquer la drogue. La multitude de choix possibles dans la vie peut parfois effrayer et, ayant envie de tous les essayer, on panique, dérape, et on se défonce pour ne pas penser.
Par ailleurs, le milieu de la pêche est aujourd’hui en pleine mutation. Les anciens comme Henry et Guénolé laissent place à la génération de Thomas et Mika, un peu perdus dans ce changement d’ère. Je voulais montrer à travers cette histoire un passage de relais qui ne peut pas se faire correctement. Tout simplement parce qu'on n'a pas su gérer les ressources. Les prévisions s’accordent à dire que nous allons vivre des changements radicaux dans les vingt prochaines années, car nous fonçons tête baissée vers l’épuisement des fonds marins. C’est pourquoi je voulais placer ce film dans le futur proche, chez les premières personnes touchées. L’aspect futuriste est amené de manière subtile, toujours mélangé aux éléments contemporains, car je ne vois pas survenir des changements radicaux dans le milieu de la pêche, sauf peut-être des drones pour surveiller les eaux anglaises…
Pour finir, Mab an Tarz est un film sur la résilience. Je voulais montrer le passage du déni à l’acceptation d’une profonde détresse chez Thomas, par un concours de circonstances qui le dépasse mais nous concerne tous : l’évolution climatique. Il se rend compte qu’il a besoin des autres, quoiqu’il advienne des océans. Il n’a plus d’autre choix que d’appeler à l’aide et traverser cette nouvelle épreuve. Les retrouvailles avec lui-même vont être longues et c’est au début de cette nouvelle aventure que je souhaitais arrêter le film.
Théo Jourdain
Théo Jourdain
Théo Jourdain est un réalisateur et producteur français né à Quimper en 1991. Il commence par étudier le cinéma au lycée et réalise des clips et des courts métrages avec ses collègues de l’internat. Il poursuit ses études en BTS audiovisuel à Boulogne-Billancourt et réalise alors son premier film, Finistère. Il travaille ensuite à l’international comme directeur de production pour des pubs et des clips. En 2019, il est lauréat du dispositif ESTRAN 7 et réalise ainsi Mab an Tarz : fils de l’écume. En 2021, il réalise avec Mohamed Chabane la série ReuSSS, diffusée sur la plateforme France TV Slash.
Pêche post-Brexit
Pêche post-Brexit
OUEST FRANCE >>> Rencontre avec Théo Jourdain pour le tournage de son film Mab an Tarz au Guilvinec.
LIBÉRATION >>> Après un an de bataille diplomatique entre Londres et Paris, un accord a enfin été trouvé entre les deux gouvernements. 1054 licences ont été accordées à des pêcheurs français, leur permettant de continuer à pêcher dans les eaux anglaises.
FRANCE BLEUE >>> Le plan de sortie de flotte visant à soutenir la filière pêche face aux conséquences du Brexit a été rendu public ce vendredi par le secrétaire d’État chargé de la Mer. 90 bateaux sont concernés, majoritairement bretons.
COMMENTAIRES