Week-end à Quimper

allongées sur le canapé - le marin masqué - banner

Un peu comme dans un rêve, ce film comporte un décalage dans la représentation de la réalité. Bruité et post-dialogué, il nous met en compagnie de deux copines qui se confient leurs émois amoureux, dialogues désopilants sur la manière d’être ensemble dans un couple, sur ce qu’aimer veut dire, et avec, comme un fruit défendu, polarisant le désir, le souvenir d’un beau gosse rencontré il y a des années en boîte en Bretagne.

Le Marin masqué c’est le week-end à Quimper de ces deux Parisiennes, film de divagation physique et cérébrale, un récit mené sur un double registre de voix off et in qui se répondent en écho, témoignant de la laborieuse quête des héroïnes, travaillées par la drague, le flirt, terrassées par l’ennui dans des horizons conversationnels limités. La réalisatrice Sophie Letourneur nous entraîne dans cet état comateux de fin de nuit blanche, dans une distanciation maîtrisée qui fait tout le charme et la drôlerie de ce film.

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FILM

LE MARIN MASQUÉ

de Sophie Letourneur (2010 - 36′)

Laetitia et Sophie partent en week-end dans la ville natale de Laetitia, Quimper. Au fil de leur séjour, rythmé par les crêperies, les balades sur la plage et les sorties nocturnes à la Chaumière, réapparaît la figure du Marin masqué, amour de jeunesse de Laetitia.

>>> un film produit par Emmanuel Chaumet, ECCE FILMS

INTENTION

Filmer vif, frais et léger

Reflet dans un miroir - le marin masqué gabarit

par Sophie Letourneur

Après La Vie au ranch, qui fut un long parcours de production avant d’être un succès en salles, j'ai voulu retrouver la spontanéité de mes désirs de cinéma, sans chercher à repartir d’emblée sur un long métrage. C’est dans cet esprit que j’ai écrit Le Marin masqué, débarrassée de toute pression de distribution, dans une forme plus courte, plus souple, comme un terrain d’expérimentation. Filmer vif, frais et léger. Rester au contact de l’image, du tournage, du travail avec les comédiens est essentiel pour mon évolution. J’ai besoin de tourner pour entretenir la flamme et avancer de façon instinctive, en renouvelant mon approche et en bousculant mes méthodes de travail.
Je suis partie en week-end avec une amie en Bretagne, et très vite le voyage a fait surgir des images, une histoire que j’ai imaginée sur le chemin du retour, dans la voiture. J’ai écrit le film dans la foulée, à partir des bribes de conversations que j’avais enregistrées avec mon dictaphone.


J’ai voulu garder cette énergie et tourner très vite, comme si c’était facile. Oser enfin interpréter mon personnage, avec dérision, diriger les scènes de l’intérieur. Faire une sorte de fiction de vacances avec ma meilleure amie, sans chercher à faire un film réussi. Partir de la confiance naturelle en cette histoire simple : deux copines partent en week-end, l’une est mère, en crise conjugale, fragile et perdue, l’autre la prend sous son aile, sévère, froide et sûre de son couple. Au cours de leur séjour, leurs états vont s’inverser. Le sujet peut sembler grave mais il est abordé de manière plus acidulée que dramatique, avec ce regard amusé et ému que nous portons sur les détails de nos vies. La simplicité du scénario et l’exagération des caractères des personnages sont les ingrédients de ma comédie romanesque.
Dans mes films précédents, je cherchais à filmer dans un souci de naturalisme et d’authenticité. Pour la première fois, ça m’est égal. Au contraire, je souhaite exagérer le coté artificiel : le film est réaliste par ce qu’il évoque, mais artificiel par ses procédés. Ne plus chercher à représenter la réalité mais recréer l’image mentale d’un moment passé. Pour cela, je souhaitais utiliser les voix-off des personnages qui détaillent l’action pour livrer un dialogue intérieur, à deux. Telle une déposition policière détaillée qui mène à la reconstitution du drame, elles se remémorent en détail tout leur séjour qui s’annonçait ennuyeux, pour mettre en scène le moment fort : la rencontre et la confession du marin masqué. La banalité du début du voyage devient alors tension dramatique au fil de la conversation qui se trouve être un récit à deux voix. Faits et pensées se mélangent, et chacune nourrit l’imaginaire de l’autre. On éprouve parfois plus de plaisir à se remémorer les choses qu’à les vivre.
La rencontre du marin masqué, premier amour fantasmatique, marque un rebondissement au cours de ce presque trop banal week-end en Bretagne et lui donne une saveur d’aventure. D’autant plus que cet amour impossible fait peut-être écho à un autre amour, l’amour du père et ses interdits. Cette rencontre devient alors comme un signe du destin et prend un aspect extraordinaire, lyrique, donc romanesque. On peut résumer, en deux minutes, dix ans de vie et s’étendre des heures sur un bref instant. On ressasse, on étire, on distille la jouissance éprouvée. Ce simple moment de vécu devient alors un roman pour celui qui s’évertue à le disséquer, à le mettre en scène, à faire, du détail insignifiant, un élément décisif.
Allons plus loin et disons qu’il s’agit d’une comédie romanesque expérimentale. En effet, l’importance de la voix-off nécessite un travail particulier sur le son. J’ai jusqu’à aujourd’hui tourné principalement en son direct, étant très attachée à la texture du réel. Mais c’est davantage la texture du souvenir, la subjectivité de sa représentation que je souhaitais faire éprouver dans ce film-ci.
Avec le temps, la tendance s’est inversée, la conquête du son direct si difficile jusque dans les années 1960 (en raison de la prouesse technique requise pour la synchronisation des instruments d’enregistrement) s’est banalisée avec l’invention de la vidéo où le son est d’emblée collé à l’image. J’avais envie de disjoindre ce qui est aujourd’hui trop naturellement confondu. Je souhaitais composer une bande-son presque entièrement recréée, post-synchronisée. Non par formalisme mais dans la logique de l’interprétation que la mémoire opère : le son témoin n’apparaît que comme une trace lointaine, effacée et recouverte par la vivacité des sentiments que la remémoration provoque et recompose.
Bien que le film soit frais, léger, drôle et repose sur une histoire presque simplette, il offre une forme inattendue, déroutante, dont la malice réside au final dans ces différents niveaux de perception, comme un jeu de miroir du son et du sens.

BIOGRAPHIE

Sophie Letourneur

Letourneur Sophie bio gabarit

Au cours de ses études d’arts appliqués, Sophie Letourneur réalise des travaux plastiques et des enquêtes alliant photos et textes. Ces recherches sur le quotidien et l’anodin la conduisent aux Arts déco, section vidéo. Elle y travaille le son et l’image, en réalisant des films expérimentaux et documentaires. À sa sortie de l’école, elle réalise des courts puis des moyens métrages sur des groupes de filles, jusqu’à mettre en scène La Vie au ranch présenté en compétition au Festival de Rotterdam.


Le film est qualifié par Télérama de film de filles le plus étonnant ­- le plus détonant – depuis l’invention du chick flick (film pour poulettes). Plongée en apnée chez les minettes parisiennes, façon Rohmer chez les pétasses 2010. C’est ensuite qu’elle réalise deux moyens métrages : Le Marin masqué puis Les Coquillettes. En 2014, elle revient au long avec une comédie, Gaby Baby Doll, avec Lolita Chammah, Benjamin Biolay et Felix Moati. Le film reçoit un bon accueil critique.

REVUE DU WEB

Un cinéma libre, simple comme bonjour, ludique

LES INROCKS >>> Un road movie hilarant et pathétique.
TÉLÉRAMA >>> Un cinéma libre, simple comme bonjour, ludique… L’humour naît des situations, plutôt minables, mais surtout du décalage entre ce qu’on voit et le son. En voix-off, comme des bulles de BD, on entend ce que l’une pense de l’autre et ne dit pas – des vertes et des pas mûres sur la jalousie ou l’agacement dans l’amitié. Ce bricolage crée une distance avec le matériau filmé qui lui confère une valeur documentaire dont il est relativement dépourvu, puisqu’il s’agit bel et bien d’une fiction, qu’une écoute attentive révèle de toute façon intégralement postsynchronisée en studio. Cet effet de surexposition sonore, souvent accompagnée à l’image par un cadre lui-même détouré, suggère l’impossibilité d’un accès direct aux choses, la nécessité d’en passer par la réminiscence et l’artifice, en un mot par l’intimité du style, pour les saisir dans leur vérité.
LE MONDE >>> Critique ciné du Marin masqué par Jacques Mandelbaum. Le Marin masqué sera donc vu comme la transposition comique de l’écriture proustienne par deux midinettes de notre temps, avec la bande originale de La Boum (Words Don’t Come Easy, de F.R. Richard, qui tourne lamentablement en boucle), promue madeleine. Voici, en un mot, deux petits films à petits moyens et à sujet ténu, qui parviennent, par un gracieux tour de force, à renouveler la forme canonique dont ils s’inspirent.
FRANCE CULTURE >>> Sophie Letourneur au RenDez-Vous de Laurent Goumarre

COMMENTAIRES

  • 8 août 2024 15:01 - Sarah-jane

    J'ai beaucoup aimé ce moyen métrage façon Rohmer. Oui, depuis Rohmer, je n'ai rien vu qui me plaise tant. L'ambiance est géniale. C'est bien filmé et on se sent proche des personnages.

CRÉDITS

avec Laetitia Goffi, Sophie Letourneur, Johan Libéreau
scénario et réalisation Sophie Letourneur
image Ludivine Renard

montage Carole Le Page
montage son Carole Verner
étalonnage et direction artistique Yannig Willmann
mixage Laure Arto
production Emmanuel Chaumet – ECCE FILMS

Artistes cités sur cette page

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Sophie Letourneur

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