Matin
Un grand coup de vent qui fait du bien, pour que le clip ne s’enlise jamais dans un maniérisme répétitif.
Échappée belle sur les bords d’une falaise bretonne, loin de l’univers parfois un brin artificiel du clip, pour une plongée brute dans le vrai, le dur, le bonheur en barre et la vie qui coule avec l’illustration vidéo-docu-fiction de titre Matin des Bordelais d’Odezenne. Le geste est ici intime, documentaire et vient comme une lame de fond mettre en lumière la pluralité et la créativité que permet l’exercice du clip.
Matin s’ouvre par une courte poésie de marin, déclamée avec malice par Mathurin, perché dos à la mer. Nous entrons ensuite dans le quotidien romantique qu’il partage avec Hannah, que la caméra de Jérôme Clément-Wilz, intime mais jamais intrusive, vient doucement capter et mettre en écho avec la nature qui fonde leur décor. Aventure, liberté, communion avec les éléments se font les invités de cette idylle mouillée, loin de la ville et des conventions. Nous voici émus face au corps de ce jeune marin, bien réel à l’image, face caméra, mais dont la tête s’enfuit dans les bras d’une femme. Son départ est proche, inévitable et habituel, mais pourtant toujours dur. À l’intensité de leur amour, charnel et complice, répond la brutalité, magnifique, de la vie sur les flots, à bord d’un bateau. Les plans sont serrés, tendus, comme les corps nus, et viennent traduire la rudesse d’une vie loin du sol. À la mer répond toujours la femme, et vice versa, sur le flot monocorde et net des paroles du morceau. Visuellement, ce qui ressort est bleu ; le bleu des jeans, de l’eau, de la mer, du ciel, couleur de l’amour quand il est proche de la terre.
Le contenant est un clip, le contenu un bonheur bien trempé. Odezenne continue ici sur sa lancée de vidéos « documentaires » et c’est à nouveau une bonne nouvelle. Dans Matin, tout est liquide, les arrangements du groupe ruissèlent à travers ce clip comme la romance de ce jeune couple qui s’infiltre partout et s’échappe toujours. C’est la mer qui les rapproche, omniprésente en fond, en image, en couleurs, autant qu’elle les sépare. Ce n’est ni vulgaire, ni déplacé, ni surfait ; c’est un grand coup de vent qui fait du bien, un réel puissant comme un raz-de-marée, qui déferle sur le monde du clip pour l’emmener encore plus loin, pour qu’il ne s’enlise jamais dans un maniérisme répétitif et dans des codes aseptisés. Le clip est libre, imbibé, comme ce morceau d’amour à l’écran, qui s’est donné, construit, offert presque tout seul à la caméra (qui ne venait au départ filmer que la mer et son tumulte). Le vrai s’est emparé de l’image, l’amour s’est incrusté dans le montage, et c’est un clip « naturel » qui crève l’écran et le cœur. Alors nous aussi « laissons sécher le temps » et profitons de l’instant de vie qui nous est généreusement offert ici. Où l’on finit englouti.
MATIN d'Odezenne
MATIN d'Odezenne
réalisé par Jérôme Clément-Wilz (2016 – 4’29)
Avec Matin, Jérôme Clément-Wilz quitte les mouvements sociaux au cœur des villes pour une petite cabane perchée près des Roches-Blanches, à Douarnenez. La caméra s’immisce dans l’intimité d’un amour naissant : Ulysse et Pénélope, Adam et Eve, Roméo et Juliette. On pourrait croire que se déroule sous nos yeux une fiction, mais il n’en est rien, c’est bien une matière purement documentaire que le réalisateur a filmé.
Comment vivre d’amour et d’eau fraîche ? Le temps du film, le spectateur est emporté naturellement par la passion qui crève l’écran. Le jeune marin pêcheur, Mathurin, est obligé de prendre la mer et de laisser Hannah.
Les Roches blanches, Ulysse et Pénélope sont aussi présents dans le 2e épisode de LA VOIE DE TAO, sur KuB.
ODEZENNE
ODEZENNE
Alix et Mattia se rencontrent pour la première fois dans le collège où ils étudient, et forment O2 Zen, nom qu’ils empruntent de manière détournée à celui de leur proviseur, qui les terrorisait à l’époque.
Influencé par le rock de Jimi Hendrix, le duo ne dure qu’un temps et ils repartent poursuivre leurs études chacun de leur côté. Le déclic a lieu quelques années plus tard, en 2004, alors que leurs chemins se croisent de nouveau. Alix s’est depuis initié au rap et envisage un projet sérieux dans la musique. Rejoints par Jacques à la voix puis Dj Lodjeez, la bande devient « Odezenne » et commence à composer. Le premier concert a lieu en 2007.
En octobre 2013, le groupe sort un EP live enregistré pour leur centième concert et annonce un départ à Berlin. Au printemps 2014 sort Rien, un EP enregistré durant ce fameux périple. Le clip Je veux te baiser, réalisé par Romain Winkler, fait parler de lui sur les réseaux sociaux.
Ils se produisent à l’Olympia en mars 2015, asseyant leur notoriété. Sur des nappes synthétiques, au gré d’une électro stroboscopique ou ascétique, Jacques, Alix et Mattia cultivent le spleen sous influence et le double sens vertigineux.
JÉRÔME CLÉMENT-WILZ
JÉRÔME CLÉMENT-WILZ
Jérôme Clément-Wilz cumule diverses expériences : anciennement bûcheron, il est diplômé de Berkeley (Art Practice, Film Studies, 2006), Sciences Po Paris (Sciences politiques, Management de la culture et des médias, 2008) et Paris VIII (Arts plastiques, 2008). Il a été assistant-réalisateur de fiction, avec Victoria Abril, Zoé Cassavettes, Blanca Li, Tonie Marshall… et de documentaires et reportages, avec Christophe Otzenberger et Marie Agostini. Il devient ensuite chef-opérateur et réalisateur. Les films sur lesquels il travaille sont diffusés sur France 2, France 4, Arte, Paris Première, mais aussi au Théâtre du Rond-Point, la Cinémathèque de Tanger…
Ses tournages l’emmenèrent dans plus de vingt pays, sur des thématiques « société », ainsi que dans des zones de conflit. Il réalise pour Paris Première un tour du monde du rapport au genre et à la sexualité. Il travaille également sur les questions de la parentalité, celle de l’alcoolisme, du rapport à la religion…
Entretien avec le réalisateur et le groupe
Après Novembre, cette vidéo est le deuxième volet de la trilogie de clip-documentaires. Pourquoi un tel grand écart ?
JÉRÔME : Il n’y a pas de grand écart, juste la volonté de montrer la liberté quand elle prend corps, le goût de filmer des personnes qui me touchent, au moment où leur vie prend un virage décisif. J’aime travailler en empathie et j’ai ressenti un besoin instinctif de filmer ces deux amis. Tout documentaire est autobiographique ; il s’est également trouvé que Mathurin et Hannah racontent un moment de ma vie, un printemps magnifique.
ALIX : J’ai pas l’impression d’un grand écart, c’est toujours fascinant de regarder Jérôme travailler avec le réel, l’engagement est le même. Puis ça n’était pas prévu de filmer ça, à la base il devait partir filmer un pécheur-punk et on pensait illustrer le titre Dieu était grand. Au bout de 5 jours de mauvais temps et un chalutier qui ne partait pas, il m’a appelé un jour en me disant pas de mer, pas de poisson, mais je suis en train de filmer le bonheur ! À son retour il m’a fait passer 30 minutes de rushes… Ça n’allait pas du tout avec la chanson prévue… mais ça collait à merveille avec une maquette qu’on avait. C’est ça qui est passionnant, la part d’imprévu.
On a parfois l’impression d’une fiction, comment avez-vous fait pour vous fondre à ce point dans cette relation et capter une telle intimité sans la bousculer ?
JÉRÔME : Il n’y a pas de caméra invisible et on ne bouscule pas. On aime. Je ne me glisserais jamais dans une situation où je ne me sentirais pas le bienvenu. Quand on filme, l’amour et la confiance doivent être réciproque. C’est étrange et fort d’être là lors du début d’un amour, de le filmer… Nous avons vécu ce moment là à trois, moi témoin et ami d’un nouveau monde. Je me souviens, c’est le dernier jour que je les ai filmés en train de faire l’amour et je prenais mon train après. Au moment de se dire au revoir, on s’est dit comme enivrés, tiens, on vient de vivre quelque chose de précieux. Filmer les histoires les plus singulières et en ressortir l’universel, le mythique presque… Je pense que c’est pour cela que l’on ressent cette impression de fiction, que chaque chose, chaque geste est à sa place.
ALIX : Personnellement c’est ce qui me plaît chez Jérôme, son aptitude à confondre le réel à la fiction dans sa prise d’image.
Comment se sont passées les prises de vues sur le chalutier ?
JÉRÔME : Magnifiques et laborieuses ! Je suis corrézien, anciennement bûcheron, et prendre la mer est plutôt exotique pour moi. Mais c’était beau de voir ce bateau en bois, L’heure bleue, juste après le coucher du soleil, les hommes au travail, l’amitié dans le carré des matelots (leur pièce sous le pont). Cependant j’ai dû y passer de nombreuses nuits car il n’y avait pas de poisson… Nous attendions donc du soir jusqu’au matin, ils s’occupaient ou dormaient, et moi, je filmais.
La trilogie porte-t-elle déjà un nom ? Une idée pour la suite ?
ALIX : Depuis le début, on sait que tout ça parle de liberté et de mouvement des corps.
JÉRÔME : Oui, on n’a pas encore formalisé de nom avec Odezenne, mais j’avancerais, au risque de sonner un peu pompeux, la trilogie des corps libres.
Un couple de jeunes matelots vivant d’amour et d’eau fraîche
Un couple de jeunes matelots vivant d’amour et d’eau fraîche
Stéphane Davet, Le Monde>>> Les chansons d’Odezenne posent souvent leurs textes entre deux chaises, celles de la provocation potache et de l’ambition arty, quelque part entre les lourdeurs des Svinkels et l’intensité visionnaire de Diabologum. Les mots de Rien, Bouche à lèvres, Souffle le vent ou On naît on vit on meurt ne sont pas vecteurs d’ego trip ou de vantardises, mais de balades dans un quotidien plombé par le désœuvrement, le désarroi sexuel, la conscience du dérisoire.
Manon Michel, Les Inrocks>>> Réalisé par Jérôme Clément Wilz, Matin vient s’inscrire dans le prolongement de deux autres clips documentaires, Novembre et Chimpanzé. Après un court poème de marin en introduction, on suit la romance d’un couple de jeunes matelots vivant d’amour et d’eau fraîche, entre terre et mer, le tout filmé dans un style très réel, entre plans serrés et ambiance intimiste.
Mathias Chaillot, NEON>>> Ici, il pose sa caméra sur une falaise bretonne devant Mathurin et Hannah (oui, on dirait des noms de personnages de films, mais non, ils sont bien réels), une idylle d’amour et d’eau fraiche (et de séparation, Mathurin est marin, évidemment). À la base, il devait filmer un pécheur-punk et on pensait illustrer le titre « Dieu était grand », explique Alix, du groupe Odezenne.
Au bout de 5 jours de mauvais temps et un chalutier qui ne partait pas, il m’a appelé en me disant « pas de mer, pas de poisson, mais je suis en train de filmer le bonheur ! ». Tout était là. Il ne restait plus qu’à mettre les images sur la bonne chanson (ce sera Matin), et partager le tout.
Valérie Lehoux, Télérama>>> Les « chansons » d’Odezenne, élancements de plaisir et de douleur gagnés par un désenchantement à la Taxi Girl, transmettent leurs ivresses à coups de formules chocs (« On naît, on vit, on meurt, aussi vite qu’un cri, qu’un pleur, aussi bête qu’un vide, qu’une fleur »). Vertige et vacuité des rapports humains. Et quand soudain l’espoir s’immisce (Souffle le vent, une bourrasque), Odezenne finit de nous emporter.
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