En quête de soi

joue dans un bar - Tom d ici et d ailleurs

Tom d’ici et d’ailleurs, c’est l’histoire d’Idriss Hussein né à Djibouti dans la corne de l’Afrique et qui se réinvente en Tom Simon, comme Tom Waits et Paul Simon, à Brest, sa ville d’adoption. Une guitare entre les mains et une voix râpeuse et envoûtante, entre blues et reggae, comme passée à la paille de fer d’une existence rude, Tom se débat dans une spirale autodestructrice à base d’alcool et de coups de sang, qui le repoussent aux marges de la société.

Le film de Philippe Lubliner brosse de ce garçon un portrait qui nous le rend attachant, et qui montre combien il s’en faudrait de peu, avec les talents qui sont les siens, pour qu’il s’accomplisse. Mais à l’automne 2022, quatre mois après le décès du réalisateur lui-même, Tom Simon rejoignait le Club des 27, celui des artistes qui se consument sans compter et s’éteignent à 27 ans, de Kurt Cobain à Brian Jones, de Jimi Hendrix à Janis Joplin, de Jim Morrison à Amy Winehouse.

FILM

TOM D’ICI ET D’AILLEURS

de Philippe Lubliner (2016 - 52’)

Tom Simon, 19 ans, jeune musicien brestois, vit entre sa passion pour le blues et ses démons qui l'entraînent depuis ses quinze ans à exploser les limites. Méfaits divers, justice, addictions ; banni de sa ville, déplacé de foyers en établissements pour mineurs, où il le dit lui-même : J’ai pas trouvé les réponses, mais au moins je me suis posé les bonnes questions. Car Tom Simon s'appelle aussi Idriss Hussein, né et adopté en 1995 à Djibouti. Alors avec le blues pour passeport, la musique racine de tous les déracinés, son projet de vie est de partir en Afrique de l'Est d'où sa mère biologique est originaire, à la rencontre de cet autre lui-même. D'entreprendre ce voyage et surtout d'en faire la matière musicale de son premier album.

>>> un film produit par Adeline Le Dantec des 48° Rugissants et Vladimir Donn du Point du Jour

INTENTION

Une vie sur le fil

Tom Simon sourire - Tom d'ici et d'ailleurs

par Philippe Lubliner

J'ai rencontré Tom Simon lorsque je préparais un film sur le rapport des jeunes à l'alcool, Jeudi soir Dimanche matin, où les protagonistes étaient eux-mêmes co-auteurs du film. Il venait d'avoir 17 ans. Nous étions dans un parc de Lannion où les jeunes viennent boire en groupe. Il jouait un blues de sa composition, Real Blues Cat, avec une voix qu'il poussait rauque, et un vrai toucher de guitare. Ce fut le début d'une rencontre. Il a été parmi les six protagonistes et co-auteurs, ainsi que l'auteur de la musique du film. Son talent de musicien me semble indéniable, beaucoup le reconnaissent. Il peut se révéler à la connaissance du grand public tel une future étoile, ou bien s'abîmer dans les méandres de la vie. Car le jeune homme se trouve face à un carrefour de sa vie, face à ses démons.


Tom est arrivé à Brest depuis Djibouti en 1995, à l'âge de quatre mois, quand ses parents adoptifs, Agnès et Pierric, l'ont accueilli. Il a vécu sur le fil, en équilibre ou brusque déséquilibre, entre danger et confiance. Après avoir été un élève brillant et un sportif accompli, son parcours a basculé à partir de ses 15 ans. Addictions à l'alcool et au cannabis, méfaits divers, violences, qui l'ont amené de case justice en case foyers, de case hôpital en case prison pour mineurs. Condamné même à une Injonction restrictive de territoire durant deux ans : l’interdiction de se trouver dans les 20 km à la ronde de Lannion, sa ville, celle de ses proches et de ses repères. Qu'est-ce que cette violence en lui ? Pourquoi s'acharner à détruire les possibles simples et prometteurs ? Il n'y a évidemment pas de réponses simples, juste un constat. Comme lui, de nombreux enfants adoptés n'arrivent pas à trouver leur place, à se situer, surtout à l'adolescence, malgré l'amour de leurs parents, malgré la bienveillance de leur environnement. Le film n'a pas vocation à répondre à ces questions. Il est ici question des origines. De l'exil, et du déracinement.
À un moment où ça allait mal, Tom a tenté quelque chose. Il a cherché sur internet un numéro à Djibouti, celui de l'orphelinat où sa mère biologique l'a accouché ou amené bébé, il ne sait pas. Un jour, il ferait le voyage, il irait là-bas, se lancerait sur la piste de lui-même.
À la recherche d'un certain Idriss Hussein, car il connaît son nom d'origine et sa date de naissance. Alors il a imaginé, fantasmé. Pourquoi pas, comme dans les happy ends les plus fous, retrouver sa mère biologique, sa famille, ses frères et sœurs, voir la terre de ses ancêtres, savoir leur culture. Ce serait Tom Simon à la recherche d'Idriss Hussein, et la rencontre entre ces deux êtres séparés. Il leur dirait qui il est devenu, mais comment expliquer ? Tom pense que le blues aura ce pouvoir. La langue musicale universelle lui permettra de communiquer avec eux. Mais Tom est cultivé et informé, il sait bien que la réalité risque d'être plus dure, dans cette Afrique de l'Est entre Somalie, Éthiopie, Érythrée, souvent terre de guerre et de famine… En tout cas, c'est cette démarche et cette volonté de connaissance qui m'ont profondément touché, et qui ont conduit le film, tout autant que sa musique et le travail qu'il mène pour la faire entendre.
Finalement, c'est un film sur des territoires interdits et risqués, le portrait d'un jeune homme qui part à la recherche d'un lui-même inconnu, déchiré entre la culpabilité d'avoir été sauvé et l'existence d'un autre fantasmé. Il nous raconte l'histoire finalement universelle d'un jeune homme à la recherche de sa place dans le monde.

RÉCIT DE VIE

La musique du cœur

Tom avec guitare sur le dos - Tom d ici et d ailleurs

par Tom Simon

Le nomadisme est ancré chez moi. Mes ancêtres faisaient des caravanes, ils allaient et venaient dans le désert. C'est peut-être pour ça que j'arrive pas à rester en place... Physiquement je ressemble pas trop à un Djiboutien, un Éthiopien ou un Somalien du Nord. Je suis arrivé à Brest en 1995, j'avais quatre mois. Mon premier souvenir de la ville, c'était en voiture dans mon siège auto, j'étais effaré devant les grues qui me paraissaient énormes quand on passait les trois ponts et qu'on longeait le port. J'aime cette ville, j'ai choisi d'y vivre car tu peux toujours prendre un bateau, tu te sens pas enfermé, t'as juste un océan à traverser et t'as New York City juste en face. Puis on a déménagé à Lannion avec ma mère et mon beau-père, et j'ai eu un frère et une soeur.


Ma famille était bretonnante, mes premiers souvenirs d'alcool c'est chez ma grand-mère quand on buvait une bolée de cidre traditionnel avec les crêpes. J'avais dix ans, c'était une grande fête de famille, je me revois en train de finir les verres, et puis un oncle m'a fait boire de l'absinthe, pour rigoler. Et après je jouais au foot et je roulais partout, plus que le ballon, j'étais dans un état qui m'a plu et puis ça amusait tout le monde, alors…
Jusqu'en quatrième, j'étais bon à l'école, presque toujours des 18, un élève modèle, j'étais super bon en athlétisme, à la course surtout. Un entraîneur de l'Insep m'a repéré. J'avais cette rage en moi quand je prenais un départ sur piste. J'avais quinze ans, j'allais intégrer l'Insep, mais je commençais à traîner avec des potes sur le quai à Lannion, j'ai bu trois canettes et j'ai emprunté son scoot' à un collègue, j'ai mal apprécié la vitesse et je me suis crashé. Mon genou a explosé. Fini la compet', fini l'Insep. Puis j'ai été négligent, j'ai pas été chez le kiné comme j'aurais dû, rien à foutre. J'avais la rage. En fait, c'est à cette période que j'ai vraiment commencé à picoler.
J'ai commencé à laisser tomber l'école, je voulais plus de ça. J'avais un prof de techno qui m'aimait bien et qui m'a passé sa guitare, mais à une condition, que j'apprenne à jouer un minimum, et c'est comme ça que j'ai commencé à apprendre, je me suis mis à composer. C'était en 2009. Le jour de mes quinze ans, je suis parti en fugue, j'ai fait Paris, Bordeaux, Amsterdam en stop. Mais les flics là-bas ont pas compris comment un gamin pouvait voyager seul. Mon père est venu me chercher. Après, j'ai pas trop eu le choix, soit j'allais en foyer, soit j'allais dans ce qu'ils appelaient un séjour de rupture, c'est-à-dire qu'ils m'éloignaient et que j'allais voir d'autres paysages. Ils m'ont envoyé marcher un mois en Pologne. J'ai traversé des villages où ils n'avaient jamais vu un nègre, les mômes bouseux faisaient des cris de singe, j'ai compris le message… Mais après, on est resté deux mois en Espagne, et c'est là que j'ai vraiment travaillé mes premières compos.
J'adore le reggae, je joue et je compose du rap, du ragga… ce sont des musiques sociales, des musiques pour être ensemble, des musiques de la protestation, de la rébellion, de la politique… Mais le blues c'est autre chose, c'est intime, c'est ce qui vient de moi, la musique du cœur, c'est avec ça que tu peux raconter ton histoire… Et puis il faut se rappeler que la musique elle est née dans la rue, qu'elle appartient à la rue, qu'elle résonne dans la rue, gratuitement.
Qui peut prétendre jouer du blues, être un bluesman, s’il est pas capable de le faire sur un bout de trottoir ? Attention, si j'avais de la thune, je roulerais en Bentley, mais ça m'empêcherait pas de taper la bise à un clochard, parce que la vie, c'est la relation humaine, c'est pas basé sur l'argent, et la musique de rue, elle revendique ça.
La dernière fois, à Orvault, j’avoue que j'étais presque content d'aller en prison parce que j'étais pas parti sur une super bonne lancée et ça m'a donné le temps de réfléchir… j'ai lu Le Maître et Marguerite de Boulgakov, qui est devenu mon livre préféré. La prison, ça te confronte à toi même, et aux autres, ça te montre la misère sociale et ce que t'as pas envie d'être. Parce que la misère elle est pas que financière, quand elle est culturelle c'est bien pire… Sur les quatre fois où j'ai été en prison, ç'a été la plus utile.
Quand je suis sorti, une semaine avant mes 18 ans, interdit à Lannion, je suis revenu à Brest, ma ville d'adoption. Je me suis retrouvé seul, libre, mais qu'est-ce que c'est inquiétant quand même la liberté… Faut assurer.
Pour mes projets musicaux, je suis bien entouré, j'ai un groupe de base et en même temps je joue avec plein de gens de passage, je participe à des soirées, je vois bien que mon flow et mon style font plaisir aux gens. C'est trop bon comme sensation quand tu montes sur scène et que la magie de la musique t'entraîne avec le public. Et puis, ce que j'attends, c'est aussi d'avoir la chance d'enregistrer. Après, c'est toi et ta chance, mais le film peut m'aider à ça et, qui sait, peut-être que des producteurs pourraient s'intéresser à moi ?
Il y a deux ans de ça, j'ai trouvé sur internet l'orphelinat de Djibouti, j'ai appelé mais la personne ne comprenait pas le français, j'ai laissé tomber, mais c'est jamais sorti de ma tête, c'est là plus que jamais. Je sens que j'ai besoin de raccorder mes morceaux séparés, d’aller là-bas, à Djibouti. Parce qu’il y a forcément des registres avec des indices sur ma famille, et je voudrais rencontrer ma mère biologique, voir qui elle est, lui montrer ce que je suis devenu… Je sais pas si ce sera possible, peut-être que je la retrouverai jamais, mais au moins je veux essayer, voir le pays et connaître la culture des miens. C'est ça mon vrai projet de vie.

BIOGRAPHIE

Philippe Lubliner

hommage lubliner philippe

Philippe Lubliner est un réalisateur originaire de Saint-Ouen et qui a plusieurs fois posé ses caméras en Bretagne. Il a d’abord été stagiaire sur des films institutionnels, puis il est devenu chef-opérateur et a commencé à tourner ses propres documentaires. Les sujets sont variés, d’un Kippour à Varsovie en 1989 pour Les Derniers aux puces de Saint-Ouen pour De bric et de broc, ou encore la tournée de Little Bob pour le portrait documentaire Mister Bob. Il s’est aussi beaucoup intéressé à la Bretagne, aux marins pêcheurs, aux réfugiés… et à la jeunesse, et notamment son rapport à l’alcool. Ainsi, en 2013, il réalise Jeudi soir Dimanche matin, en collaboration avec six jeunes Brestois. Il y fait la rencontre d’un jeune musicien de blues, attachant et torturé, Tom Simon, avec lequel il tourne son dernier documentaire Tom d’ici et d’ailleurs en 2016. Phillipe Lubliner s’est éteint en 2022.

COMMENTAIRES

  • 26 mars 2024 10:31 - Agnes Benahim

    Bonjour,
    Je suis Agnès, la maman de Tom.
    Je souhaite vous remercier de permettre à ceux qui le souhaitent de découvrir ou re- découvrir Tom.
    De ne pas laisser sa musique tomber dans l'oubli.
    Je suis extrêmement fière car malgré la douleur et les difficultés auxquelles il s'est confronté, il était aussi un être lumineux, courageux et très généreux...ce sourire quand il chante !!
    Je voulais aussi corriger une petite erreur, Tom a eu non pas deux petits frères, mais une petite soeur, et un petit frère. C'est important, Tom aimait très fort ses frère et soeur...Tom faisait tout très fort !!
    Ce reportage est un baume pour mon coeur.
    Quelle chance d'avoir sa voix.
    Continue ta route dans la paix et la lumière et envoie nous encore des coccinelles 🐞 !

  • 15 mars 2024 02:06 - Karine Guillon

    Tom était un garçon très sensible et très attachant qui mettait tout son cœur dans la pratique artistique collective (il a obtenu un BPJEPS en 2017 au sein de l'asso brestoise Vivre la Rue) et qui excellait dans l'écriture de textes, la composition musicale et l'interprétation rocailleuse de sa musique, ce Blues qui lui collait tant à la peau... Il s'est précipité vers un tragique destin et s' est éteint en 2022 en laissant un disque magnifique en testament... mais il est parti bien trop tôt !

  • 25 mai 2023 16:54 - KuB

    Bonjour Agathe, vous pouvez écouter le magnifique album d'Ahmed ici: https://ahmedidrishussein.bandcamp.com/album/help-myself

  • 18 mai 2023 03:27 - Ferrari

    Magnifique petit film.
    Où peut on trouver la musique de Tom svp ??!?!
    Quel talent ce jeune homme ….

CRÉDITS

réalisation Philippe Lubliner
image Nicolas Leborgne, Philippe Lubliner, Lacha Mjavanadze
son et montage son Frédéric Hamelin, Atelier Chuuttt
sons additionnels Pablo Salaun

montage Léna Lipinski
musique Tom Simon
musiciens Honeybadger, Tom Simon, Telio Mevel, Simon Prudhomme, Tom Veillard, Brewen Grall

étalonnage Thomas Say
mixage Simon Lebel
titrage Nicole Agostini

coproduction Les 48° Rugissants - Adeline Le Dantec et Point du Jour - Vladimir Donn
avec la participation de France Télévisions et du CNC
avec le soutien de la Région Bretagne, du Conseil départemental des Côtes d’Armor, TÉBÉO, TVR, TÉBÉSUD, de la PROCIREP et de l’ANGOA

Artistes cités sur cette page

Philippe Lubliner réalisateur

Philippe Lubliner

Tom sourit et chante dans la rue - Tom d'ici et d'ailleurs

Tom Simon

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