Visionnaire
À l’orée de sa vie d’adulte, poussé par sa mère, Marcel Brient quitte l’Île Grande pour Paris. On est dans les années 60, on trouve du travail tant qu’on veut, il n’y a plus qu’à s’y mettre.
Louis Clayeux, galeriste avisé et grand critique d'art, devient son compagnon, mais aussi son maître et mentor. Brient s’improvise collectionneur, passionné mais discret, qui sait anticiper. Clayeux lui interdit d’acheter du Basquiat, il ne l’écoute pas. Une fortune pointe à l’horizon.
Marcel Brient choisit avec ses tripes, conçoit le marché de l’art comme une soumission des œuvres au désir des collectionneurs. C’est après la mort de Clayeux en 2007 qu’il sort de l’anonymat, se séparant d’œuvres qui ont entretemps pris énormément de valeur, dévoilant ainsi son flair visionnaire.
Thierry Compain le saisit dix ans plus tard, au moment où il prépare sa sortie,
du moins du monde de l’art. Avec son sens de la mise en espace et de l’attention qu’il porte aux personnages, même secondaires, le réalisateur nous fait entrer dans le sillage du collectionneur, avec ses galeristes complices, ses dépôts de stockage et autres showrooms.
Brient prépare son come-back à l’Île Grande où il voudrait organiser une expo pour raconter son histoire à travers ses rencontres, ses acquisitions. Mais il semble lutter contre une sorte d’amnésie et philosophe sur le temps qui s’écoule entre ses doigts comme le sable des plages de l’île.
UN COLLECTIONNEUR À L'ŒUVRE
UN COLLECTIONNEUR À L'ŒUVRE
un film de Thierry Compain (2017 - 52’)
Marcel Brient est l'un des plus importants collectionneurs d'art contemporain en France. Il a repéré, souvent avant tout le monde, les Jeff Koons, Ai Weiwei, Murakami, Gonzalez-Torres et autres grands noms de l'art aujourd'hui. Sa collection compte des centaines de pièces, dont des chefs d'œuvres de Giacometti, Miro ou encore Fernand Léger. Il revient sur son parcours, du jeune pécheur de bigorneaux courant sur les grèves de l’Ile Grande à l’expert avisé et reconnu mondialement. En filigrane se dessine une vision singulière de l’art.
Heureux qui comme Ulysse
Heureux qui comme Ulysse
par Thierry Compain
Ce qui frappe d’abord, c’est le parcours exceptionnel de Marcel Brient. Émigrant parti de rien, il est devenu l'un des plus grands experts internationaux d’art contemporain. Mais derrière la figure tutélaire se révèle un être sensible, voire même fragile, un homme parti très jeune à Paris et qui ressent le besoin de revenir chez lui. Un retour qu’il envisage par l’entremise d'une exposition près de l'Île Grande où il est né. Bien sûr, il souhaite montrer une réussite éblouissante aux yeux des habitants du village. Il a ce besoin de reconnaissance des siens, comme pour donner un sens à sa vie. Mais ça n’est pas que cela. Je sens dans ses propos des blessures secrètes qui le hantent toujours. Les fantômes du passé sont toujours présents, celui du père alcoolique et violent qu’il osait à peine regarder, la misère de l’enfance, son homosexualité révélée bien plus tard, mais qui l'a fait se sentir différent dans ses années de jeunesse.
Pourquoi cherche-t-on pour finir à revenir là d’où l'on vient, à retrouver ses racines ? Et si Marcel recherchait un peu l’amour des siens ? Mais les choses ne sont pas si simples, ce projet d'exposition est aussi source d’une angoisse, révélant sa difficulté de revenir au pays.
Est-ce que je veux être enterré à l’Île Grande ? Voilà, la question essentielle est posée. Celle de la survivance mémorielle. Les œuvres ne remplissent-elles pas d’ailleurs en partie cette fonction ? Il me cite Ulysse et le retour à Ithaque. La boucle est bouclée, son fantasme de réussite réalisé, Marcel en paix avec lui même. Et en guise de conclusion, il cite Sénèque : Il n'y a pas de vent favorable pour ceux qui ne savent pas où aller. Cette phrase résonne comme un résumé de sa vie. Et je ne peux m’empêcher d’imaginer le jeune Marcel, sur le bout du quai de son île, regarder droit devant, où le vent l’emportera.
Marcel Brient
Marcel Brient
Marcel Brient vit à Saint-Ouen où il a créé un espace de 1800 m2 pour y installer une partie de sa collection dans différentes salles thématiques choisies avec soin. Cet homme simple et élégant, à la fois discret et provocateur, ne mâche pas ses mots. En séducteur gouailleur, il aime rappeler sa légende, ses origines populaires. Il qualifie sa réussite d’anomalie ; il ne la doit qu'à lui-même. Breton, pêcheur de bigorneaux, fils d'un tailleur de pierres du bout de granit malmené par les vagues qu’est l'Ile Grande dans les Côtes d'Armor.
À 20 ans, au début des années 1960, il prend le chemin de la capitale pour rejoindre sa sœur, concierge à Montreuil. Fuir la misère, quitter ce pays où il se sent à l’étroit, pas à sa place. Il devient ingénieur en métrologie physique pour travailler sur la précision des mesures. L’ennui total : J’ai compris que les maths régnaient sur le monde. Alors j’ai choisi l’art. En 1964, à Paris, il semble que ce soit plutôt l’art qui l’ait choisi, en la personne de Louis Gabriel Clayeux, une sommité de la création contemporaine, directeur artistique de la galerie Maeght à Paris, ami et mécène d’Alberto Giacometti puis proche de François Mitterrand à qui il inspira l’idée du Grand Louvre. Marcel a vécu une idylle de quarante ans avec cet homme. Avec lui il a rencontré des artistes : Miro, Chagall et beaucoup d’autres.
Il a été Conseiller aux acquisitions du Centre Georges Pompidou et du Fonds national d’art contemporain pendant plusieurs années. Il ne se considère pas seulement comme mécène, mais plutôt comme un passeur de l’art contemporain. À 80 ans, Marcel Brient a accumulé plus de 2 000 œuvres.
THIERRY COMPAIN
THIERRY COMPAIN
Depuis plus de vingt ans et une quinzaine de films, Thierry Compain mène un travail cinématographique documentaire qui consiste à filmer, à chaque fois sous des formes et des angles différents, comme un champ d’expérience, la petite île de la côte nord de la Bretagne dont il est originaire : l’Île Grande. Il a constitué ainsi une sorte de saga de ses habitants et leurs histoires, une fresque qu'il continue d'enrichir au fil du temps. À partir d'un minuscule endroit comme une île, il regarde le monde, à la recherche de l’Universel.
Après les rituels mortuaires, les tailleurs de pierre et le portrait de Yann Paranthoën, l'amour et ses bals, ou encore les Bécassines, Thierry continue son exploration en revenant sur la thématique de l’origine, des racines. Qu’est-ce que cela signifie être de quelque part ? Une amorce de réponse dans le portrait de Marcel Brient, originaire de l’Île Grande et qui souhaite revenir chez lui au terme d'une vie vécue à la capitale.
L'homme et la collection
L'homme et la collection
LE MONDE >>> A 72 ans, ce Breton iconoclaste, parti de rien, possède l'une des plus belles collections d'art contemporain en France. Tout ça grâce au flair, l’œil et le culot.
LES ÉCHOS >>> 78 œuvres peu représentatives de la collection majeure constituée par un personnage hors du commun de l'art contemporain : Marcel Brient. Son histoire.
LARGEUR >>> Au-delà des mécanismes purement commerciaux, comment juger de la véritable valeur artistique d’une œuvre ? Les coups montés du marché de l’art.
26 mars 2022 09:46 - Brient jean yves
Très beau film et très belle réussite .Tu as réussi à faire une super collection. Bravo
Jean Yves le fils de titi
11 juillet 2021 03:09 - Rémy RAFERT
Très beau film. Très beau portrait. Arrogance et pudeur semblent incompatibles, elles ne sont pas contradictoires quand on écoute Marcel Brient. Au cœur de ce film se cachent deux histoires,
26 septembre 2020 15:24 - Emmanule Mac Cron
La spéculation des oeuvres d'art... Quelle horrible vision que de voir tous ces tableaux entassés dans des cartons, attendant de voir leurs cotes monter...
Merci de nous avoir fait découvrir cette triste réalité...
25 septembre 2020 14:41 - Michon
Bravo Mister Compain, well done.
Roland