Arab et Tarzan
L’intro de Waiting for Gaza est saisissante : il fait nuit dans les rues d’une ville arabe, des hommes en armes arpentent les rues léchées par des flammes, un cortège suit des jeunes mariés dans une luxueuse berline qui avance dans la liesse et le chaos. Où ce film nous mène-t-il ? Sur le plateau de tournage d’Arab et Tarzan Abu Nasser, à Gaza, ce lambeau de territoire coincé entre Israël et l’Égypte, un Gaza transposé en Jordanie comme nous l’apprenons quelques minutes plus tard.
En 2015, le réalisateur breton Guillaume Kozakiewiez emboîte le pas d’un binôme de ces jeunes cinéastes palestiniens qui vont présenter Dégradé, leur premier long métrage, à Cannes. Arab et Tarzan sont jumeaux, et son documentaire Waiting for Gaza montre cette gémellité à l’œuvre. En attendant de pouvoir tourner son prochain film, le duo se raconte et se remémore ses films dans les volutes et arabesques de sa chambre à Paris où il élabore le scénario de Gaza mon amour.
WAITING FOR GAZA
WAITING FOR GAZA
de Guillaume Kozakiewiez (2020 - 74’)
Cinq ans après leur sélection cannoise, les jumeaux Arab et Tarzan Abu Nasser préparent leur deuxième long métrage. Exilés à Paris, ils s'enferment dans un studio de 25 m2 d'où ils recréent une Palestine mentale... Le film les suit au cœur de leur gémellité, de leur histoire, de ce qui les hante et les pousse à faire du cinéma. Peu à peu, leur vie et leur œuvre se fondent, la frontière entre réel et fiction s'estompe, brouille les pistes.
>>> un film produit par Adeline Le Dantec des 48° Rugissants et Milana Christitch d’Ana Films
Un cinéaste à deux têtes
Un cinéaste à deux têtes
par Guillaume Kozakiewiez
Mes films sont tous nés sous la même étoile, celle de la rencontre. Je mets mes pas dans ceux d’une personne, d’un groupe, qui nous fait visiter le monde à travers son histoire singulière. Je fais le choix de rester dans un cinéma artisanal, dont le seul et vrai luxe est le temps dédié aux personnages, et l’attention portée au lien.
En amont de ma rencontre avec Arab et Tarzan Nasser, il y a leur cinéma. En 2014, je découvre un documentaire et trois de leurs courts métrages. Un cinéma à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie, aux frontières d’un cinéma de la réalité et d’un cinéma du spectacle. Un cinéma avec déjà des motifs récurrents : la guerre, l’occupation, l’amour surtout qui essaye de se frayer un chemin dans un contexte bouleversé, et toujours le choix du huis clos. L’enfermement et l’absurde donnent un ton tragi-comique à leurs créations. Je rencontre Arab et Tarzan sur le tournage de leur premier long métrage, Dégradé, à Aman, en Jordanie, fin 2014. Lorsque j’ai vu le premier, ça été un choc. Quand le deuxième est arrivé, c’est devenu surréaliste. Je me suis retrouvé face à deux colosses chevelus, barbus, qui se confondent sur le plateau.
Le plateau est ainsi la première réalité que j’ai vue transcendée. Sous l’impulsion des deux frères, il s’y jouait quelque chose de plus qu’un décor de cinéma. Il y avait là la présence d’un duel que je n’aurai de cesse d’explorer avec eux : un affrontement entre une force de vie, insufflée par le cinéma et sa magie, et une force de mort, celle que nous renvoyait la réalité tout autour de nous, avec les ambulances, le feu, les pleurs, les cris, la peur... Arab et Tarzan tournent Dégradé en 24 jours seulement. Quelques mois plus tard, le long métrage est sélectionné à la Semaine de la critique au Festival de Cannes. Consécration. Le film est un succès. Dans le même temps, les jumeaux s’installent à Paris. Ils obtiennent le statut de réfugiés politiques, emménagent dans une chambre à la cité des Arts et entreprennent l’écriture de leur second long métrage. Ils ne peuvent absolument plus retourner à Gaza. La liberté avec laquelle ils parlent de la société gazaouie dans leurs films dérange.
Cela faisait cinq ans que je côtoyais régulièrement Arab et Tarzan. Cette relation prolongée a nourri un désir de film, dans la lignée de mes précédents : un portrait au long cours, mais qui, curieusement – ou malicieusement –, allait aussi suivre la courbe de mon cinéma, à savoir le croisement de la fiction et du documentaire.
Avec Arab et Tarzan, je voulais fuir le registre de la conversation car, habitués à parler aux médias, leur discours prend parfois des allures de logorrhée. Nos échanges sur le cinéma ont bien sûr été importants en amont du tournage et l’un des ingrédients de notre confiance. Ils font partie de cette longue approche qui m’a permis de filmer leur monde intérieur et leur solitude à deux. Pour moi, Arab et Tarzan sont les personnages d’un documentaire sur la faim, la soif, le désir ardent de cinéma et les deux frères sont spectaculaires dans l’expression de ce désir. Mais ce qu’il y a d’encore plus singulier chez eux, c’est cette porosité entre réel et imaginaire, qui s’incarne dans l’absence de frontière entre leur vie et leur œuvre, dans une urgence de faire permanente. Même leur exil prend une tournure étonnante. Arab et Tarzan sortent peu, jamais durant la journée. Ce confinement est une part importante de leur quotidien. Comme pour reproduire la situation d’isolement de Gaza ? Peut-être. J’ai compris aussi qu’il s’agissait pour eux d’une méthode de travail, un moyen à eux de rester en prise avec Gaza pour construire une fiction.
En choisissant de placer le film dans un huis clos de 25 m2, je me suis placé au cœur du couple d’Arab et Tarzan, de leur gémellité, là où tout ressort de manière fulgurante. Leur fusion, leur solitude, leurs obsessions. Le tout exacerbé par l’exil. Ils vivent en symbiose une forme d’enfermement, le corps ici et la tête complètement ailleurs. Mais Arab et Tarzan sont un. Leur gémellité ne se discute pas, c'est une évidence, et j’ai voulu la filmer comme telle. Je voulais donner le sentiment d’un cinéaste à deux têtes.
Arab et Tarzan Nasser
Arab et Tarzan Nasser
Nés en 1988, Tarzan et Arab Nasser, de leurs vrais noms Mohammed et Ahmad, sont originaires de Gaza, en Palestine. Ils étudient les beaux-arts à l’université d’Al-Aqsa et se passionnent pour le cinéma. En 2010, ils reçoivent le prix des meilleurs artistes de l’année, décerné par la Fondation A.M Qattan pour leur travail d’art conceptuel Gazawood, une réalisation d’affiches cinématographiques pseudo-hollywoodiennes s’inspirant de noms de véritables offensives militaires israéliennes contre la bande de Gaza.
En 2013, ils réalisent le court métrage Condom Lead, qui raconte l’intimité perturbée d’un couple pendant la guerre. Le film est sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. Forts de ce succès, ils écrivent Dégradé, huis clos dans un salon de coiffure pour dames à Gaza. Le film est la première coproduction officielle entre la France et la Palestine. Dégradé est sélectionné à la Semaine de la critique du Festival de Cannes en 2015. En 2021, les jumeaux Nasser ont sorti leur dernier film, Gaza mon amour.
Guillaume Kozakiewiez
Guillaume Kozakiewiez
Guillaume Kozakiewiez, né en 1979, grandit dans l’est de la France. Ses études l’amènent en Bretagne où il vit depuis une quinzaine d’années. Passionné par la photographie, il se met à la pratique du montage puis à la prise de vues en autodidacte, pour se former finalement à la pratique documentaire.
Réalisateur, voyageur, curieux et un peu solitaire, Guillaume fait de la caméra vidéo, légère à transporter, son outil fétiche pour raconter des histoires de vie dans différents continents. Le portrait est clairement son motif de prédilection, donnant lieu à des longs métrages documentaires, tels que Léonarda ou Salto Mortale. Aujourd’hui, la fiction prend une place particulière dans son travail, avec toujours la figure du portrait au centre de sa démarche. Je les aime tous, son premier film, a été sélectionné pour le prix du meilleur court métrage aux César 2018.
Des jumeaux déjantés
Des jumeaux déjantés
INSTITUT DU MONDE ARABE >>> Entretien vidéo avec Arab et Tarzan Nasser, à propos de leur film Dégradé, de Gaza, des femmes et de leur manière de fonctionner et de travailler.
LIBÉRATION >>> Portrait d’Arab et Tarzan Nasser, venus à Cannes pour la présentation de Dégradé.
L’ORIENT LE JOUR >>> Cinéastes anticonformistes au look de guitaristes métal, les jumeaux Arab et Tarzan Nasser puisent leur énergie, et l’inspiration de leur dernier film, Gaza mon amour, dans une jeunesse à Gaza pour toujours dans leur esprit.
FILMS EN BRETAGNE >>> Une comédie palestinienne, mixée à Rennes, bientôt cannoise ! La Région Bretagne a soutenu le projet des frères Nasser, touchée par leur histoire et le regard neuf qu’ils apportent sur la bande de Gaza et ses habitants. Arab Nasser nous parle du film, de sa réalisation et de la collaboration avec la France.
27 février 2023 23:44 - Le borgne
Ĺes Dardennes et les Cohen n'ont qu'à bien se tenir !!!